« La Mésentente ». Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien
Marie-Thérèse et Dominique URVOY
Père Patrice Sabater, cm
La place de l’islam en France est au centre de tous les débats. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait une revue, un article, un livre, une conférence, une interview sur le sujet. Pour autant, la majorité des français n’a de cette religion qu’une connaissance très parcellaire et relative. Le cinéma a pris sa part dans le débat ces dernières années avec deux films. Le premier a été réalisé par Abd Al Malik (2014), "Qu'Allah bénisse la France ", le second, L'Apôtre, a été réalisé par Cheyenne Carron. Tous deux abordent sur deux plans différents notre relation à l’islam en France. C’est dans ce contexte que deux islamologues français, Marie-Thérèse URVOY et Dominique URVOY, ont publié aux Editions Le Cerf un ouvrage s’intitulant « La Mésentente. Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien ».
Les deux auteurs espèrent que ce « Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien » servira à « bien se situer » devant « l’inquiétude générale ». Dans la longue introduction, ils affirment : « (…) il y a surtout les risques liés à la prépondérance dont jouit l’affectivité dans le domaine du dialogue. Certains l’ont poussé si loin qu’ils récusent toute considération doctrinale à l’intérieur même de la théologie ». (page 10) Un livre écrit pour enlever les ambiguïtés… Alors, est-il bien le bon outil pour travailler (encore) dans le dialogue islamo-chrétien ? Le bon document pour que ces deux mondes qui se regardent, et s’invectivent parfois, puissent discuter ? Y aurait-il ici plus que de la mésentente, quelque chose de plus profond ?
Le dialogue suppose d’être l’un à l’égal de l’autre. Il suppose aussi de sentir l’autre « faire un effort d’interprétation » et de demander si à partir de celui-ci, il est capable de se réformer et, se réformant, de se rapprocher sans arrières pensées de l’autre ? En France, nous sommes souvent confrontés à un islam communautaire qui essaye de projeter dans les sociétés hors « terres d’islam » un modèle politico-religieux de l’islam. Là serait sans doute une première incompréhension car, en islam, la religion est en Tout et en toute chose. Il n’y a pas de séparation et de domaines réservés… La partie la plus éclairée de cette religion, avec qui le dialogue est plus ouvert, est malheureusement minoritaire… On ne peut pas faire de relativisme dans le dialogue parce que ce dernier est toujours exigeant. On ne peut pas gommer non plus les aspérités, mais les faire ressortir et en faire naître une richesse. La question souvent la plus répandue est celle qui résume la foi et le champ religieux en annonçant que « nous avons le même Dieu et que les valeurs sont les mêmes en islam comme en christianisme ». Comment en serait-il ainsi si le musulman croit et défend l’idée selon laquelle les chrétiens et les juifs auraient falsifié la Révélation ? Et que dire encore de l’Incarnation, de la Trinité, de la mort de Jésus – Fils de Dieu (et, Dieu lui-même) sur la Croix ? On en voit donc, ici, les limites… Pour revenir au centre, et aux choses éclairées par la foi et la raison, il est bon et nécessaire de « rappeler les repères (théologiques) essentiels » à ceux qui, trop nombreux aujourd’hui, s’y laisseraient surtout guider par « l’émotivité ». « Le but de ce travail, disent-ils, est seulement d’attirer l’attention sur les malentendus qui ont pu – ou qui pourraient encore – vicier le dialogue entre chrétiens et musulmans. Il ne prétend pas donner des solutions, mais seulement permettre de reprendre lucidement certaines interrogations ». (page 26)
Ainsi donc, les deux islamologues ne cherchent pas à donner un kit de
solutions toutes faites, mais d’« attirer l’attention sur les malentendus … et permettre de reprendre lucidement certaines interrogations » (page 26). Une présentation succincte des personnes citées, de ce qu’elles ont fait ou écrit, et une remise en situation de leur œuvre (cf. par exemple, Louis Massignon) aideraient le lecteur à mieux se situer. Que penser, alors aujourd’hui, de Louis Massignon si universellement reconnu ? Il serait selon Marie-Thérèse URVOY et Dominique URVOY une des causes de l’islamophilie des chrétiens qui essayent d’ouvrir la porte à la fraternité, à l’accueil de l’autre, et à l’échange d’informations théologiques et spirituelles entre les deux religions. Le dialogue islamo-chrétien reste nécessaire en Europe comme au Proche et Moyen-Orient. Qui pourrait le nier, aujourd’hui ? L’Eglise elle-même, et à son plus haut niveau, y est engagée… Ce dialogue continue à se chercher et à se développer dans des contextes culturels et linguistiques nombreux et, à la fois, très différents.
Le livre est aussi intéressant que décapant, et parfois on ne sait pas que penser et que mettre en balance ? Aidera-t-il plus ceux qui sont déjà engagés dans ce dialogue ou au contraire les entraînera-t-il dans un découragement plus grand ? Le pari des auteurs est grand et les intentions louables. Mais le monde n’est-il pas souvent pavé de « bonnes intentions » ?
Patrice Sabater, cm
Décembre 2017
Marie-Thérèse et Dominique URVOY, « La Mésentente ». Dictionnaire des difficultés doctrinales du dialogue islamo-chrétien. Editions Le Cerf, Paris 2014 – 350 pages. 24