« Lettres du Bosphore » de Sébastien de Courtois
Père Patrice Sabater, cm
C’est sur la Turquie que se penche une nouvelle fois Sébastien de Courtois dans la dernière livraison éditée par Le Passeur. Il connaît bien ce pays « qui l’a ouvert au monde » puisqu’il demeure à Istanbul et y travaille depuis de nombreuses années. Cependant, de son propre aveu « il cherche toujours Istanbul ». (page 12). L’auteur a l’impression qu’une page est en train de se tourner, et que quelque chose échappe forcément. Il y a quelque chose à comprendre, quelque chose qui n’a pas été saisi, qui fuit. Rien ne résiste à cet exil, à cette fuite en avant. Vers où va la Turquie ? « Un pays qui remet en cause sa diversité alors que sa nature même est d’être un pont entre les rives, une alliance des civilisations. Ces pages sont celles d’une époque singulière, une transition vers l’inconnu (…) Un pays de démissions successives qui dérange maintenant, loin de l’indifférence des jours heureux». (page 14)
Ce nouvel opus de Sébastien de Courtois pourrait être une suite à son très beau livre un thé à Istanbul où nous étions restés dans le parc Gezi en compagnie d’un pianiste qui donnait de la profondeur aux heures graves que venaient de vivre les stambouliotes, et les Turcs en général. Notre cœur s’était arrêté, là. Depuis, la Turquie a muté, et le navire que mène son Président suite au coup d’état et aux nombreux attentats n’arrive pas à s’ancrer ici ou là dans une dynamique de paix. « En Turquie, la simple contestation n’est plus tolérée ». (page 13) « L’esprit vagabonde » dit-il. Nous vagabondons avec lui au fil des pages. Le début du livre est plus poussif. L’écriture y est moins policée, moins fine et moins dans la retenue. L’auteur se livre en disant ce qu’il a l’habitude : doutes, amertumes, regrets, constatations… Pourtant, Sébastien de Courtois ne se résigne pas. Chaque chapitre est un instant de vie où nous sommes convoqués à entrer en amitié, malgré la conjoncture actuelle si peu porteuse, avec les Turcs à Istanbul, à Ankara, et ailleurs en Turquie. L’instant est daté (de novembre 2015 à février 2017). Ce n’est pas un journal, et sans doute pas une chronique journalistique. C’est l’écriture de quelqu’un qui aime ce qu’il présente et énonce, et qui aime les personnes dont il parle… C’est de l’Ecriture ! On découvre avec lui, cette si belle et enchanteresse ville aux multiples facettes qui se regarde comme dans un miroir. L’Asie se regarde dans les yeux de l’Europe si loin et pourtant si proche. Nous prenons de la hauteur ou nous nous nous asseyons à une table avec l’auteur. Nous l’écoutons. Nous le regardons faire et parler avec ses invités, avec ses amis, ou simplement ces gens anonymes qui font la vie stambouliote. Il nous prend par la main et guide la visite par le cœur et par le regard tendre et averti, peut-être un peu complice parfois ; et en tous cas toujours sensible aux choses des jours qui passent. La littérature, les liturgies orientales, les amitiés sincères tiennent lieu de décor à ce livre qui se donne dans nos mains, et sont merveille pour nos yeux. Si malaise il y a au début de l’ouvrage, il est vite dissipé…
« La Turquie est un pays qui se mérite, il n’est pas une simple étape de vie, une destination parmi d’autres, mais un choix, une expérience. Il faut en accepter le pire pour comprendre le bien, lire, se renseigner, goûter les plats et courir la campagne. Les saveurs y sont puissantes ». Pour Sébastien de Courtois le pari est sans doute gagné pour lui… et peut-être, ici, pour le lecteur qui se laisse conquérir simplement et doucement par les rives du Bosphore en attente d’une espérance qui viendra un jour… Puisse l’auteur nous permettre d’y revenir un jour avec un nouveau livre plein de promesses, sans fards, qui nous dira – enfin – que le jour s’est levé au pays des deux continents. Bonne lecture !
Patrice Sabater, cm
30 mai 2017
Sébastien de Courtois, Lettres du Bosphore. Editions Le Passeur, Paris 2017. 256 pages – 19,50 €
Crédit photo : Sébastien de Courtois – Le Passeur