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Alain Gresh : Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir

5 septembre 2024 | resena
Alain Gresh : Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir

Auteur: Patrice Sabater

Alain Gresh, Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir. Ed. Les liens qui libèrent. Paris 2024. 192 pages. 18 €

Alain Gresh, journaliste, essayiste, spécialiste du Proche Orient et du Monde Arabe, auteur de nombreux ouvrages publie un livre collectif et d’une « réflexion entamée dans le cadre de la Revue en ligne « Orient XXI » ; dont il est fondateur. L’auteur nous propose son analyse après le terrible choc du 7 octobre 2023. Il en souligne ses retombées, en France, dans le Monde et au Proche-Orient. Ce qui se joue dans la Guerre contre Gaza ne touche pas uniquement cette petite bande étroite de terre, cette prison à ciel ouvert devenue un des plus grands cimetières du monde, mais des ondes de choc en Israël et dans les Territoires occupés. La Cour internationale de Justice a souligné que ce conflit pourrait déboucher sur un « risque génocidaire ». Le risque d’un embrasement régional reste vif, et conditionne la fracture de plus en plus importante entre les pays arabes, le reste du Monde et l’Occident.

Ses propos « écrits à chaud » sont sans doute dissonants concernant la guerre qu’Israël mène actuellement à Gaza. Il dresse un réquisitoire, certes quelques fois excessif, et à la fois très intéressant, au sujet des marqueurs historiques et plus que centenaire de ce conflit que l’on avait pensé en perte de vitesse en raison des « Accords d’Abraham », et qui a resurgi de façon brutale et dans une forme violente et inattendue. Il inscrit son propos contre l’effacement historique du conflit en rappelant qu’Israël a toujours mené des guerres contre Gaza, et contre les Palestiniens d’une façon ou d’une autre ; et de façon permanente si on tient compte de l’ensemble des impossibilités citoyennes, des tracasseries administratives et de l’impossibilité d’un quelconque retour sur leurs terres.

Avec sa plume ferme et acérée, il revient sur les évènements d’Octobre 2023, en soulignant les éléments de langage et de « désinformation sans pour autant « nier qu’il y ait eu des viols ou des crimes de guerre », mais de mesurer combien ils ont servi la propagande médiatique israélienne et les médias occidentaux au sujet d’une des guerres les plus destructrices de l’époque contemporaine. Il pointe énergiquement le déferlement de propagande  : mensonges grossiers proférés par des professionnels de la parole jamais contredits, plateaux déséquilibrés au mépris de la démocratie, propos racistes, unilatéralisme… Se faisant, il prend part au débat en revenant sur les fondamentaux, sur des faits et sur la notion de « terrorisme ». En se référant au passé il vient interroger les possibles perspectives pour l’avenir… ; s’il y en a encore. A la page 132, il reprend l’échange du 15 novembre 2023 entre le présentateur de TV5 Monde, Mohammed Kaci, et du Porte-Parole de Tsahal M. Olivier Rafowicz. Cet épisode est l’épiphénomène de quelque chose de plus banal, systématique, pernicieux et répétitif dans les médias israéliens qui donnent les éléments de langage que les autres médias devraient relayer… Cet épisode a eu des suites, mais souligne l’effet de propagande israélien quand ces derniers parlent uniquement de l propagande du Mamas… pour ne pas dire carrément palestinienne. Une parole qui semble confisquée, et des médias sur le terrain muselés ou interdits. Selon lui, l’offensive israélienne contre Gaza indique une fois encore l’impunité totale d’Israël et un soutien inconditionnel apporté à Israël par la majeure partie de l’Occident. La France n’échappe pas à cette rhétorique faisant remonter les vieux démons « d’une confrontation civilisationnelle avec les « barbares » ». La vision est sans doute manichéenne plaçant les « Bons et les civilisés » d’un côté, et les « Barbares de l’autre sans aucune humanité » de l’autre. Depuis le 11 septembre, le monde est enfermé dans une vision angoissée et fondée sur la peur des « barbares » ; et sans le moindre doute nous sommes du côté de « la Civilisation » !

Dans ces conditions est-il encore possible de penser ce qui est en train de se jouer sous nos yeux sans que nous puissions rien faire pour y remédier ? L’auteur estime que "rarement le manichéisme n'aura autant dominé et contribué à effacer la profondeur historique d'une crise. [...] Les mises à l'index se multiplient, des débats sont interdits, les accusations d'apologie du terrorisme se banalisent. Il est plus urgent que jamais d'ouvrir une discussion qui respecte le pluralisme". L’offensive israélienne sur Rafah est devenue une "opération de libération". Il est sans doute plus justifié et mieux avisé de parler de d’opération que de « guerre » ; et surtout auprès de l’Administration américaine, car : "le gouvernement américain est mal à l'aise par rapport à la politique israélienne, même s'il faut dire clairement que c'est lui qui permet le génocide en cours. S'il n'y avait pas d'armes américaines, ça ne serait pas possible. [...] Mais en même temps, les Américains aimeraient bien que ça s'arrête."

Sa parole et son expertise ne sont pas isolés. Il reprend l’exemple de ce jeune Pasteur luthérien palestinien – Rev. Munther Isaac - qui dans une homélie puissante de Noël 2023, fustige tout à la fois l’Europe, les États-Unis et sa propre Église, « complices du génocide ». Gaza a exposé le double visage de l’Occident, une face pour la paix, les droits humains et l’universalisme, une autre pour les massacres, le génocide, et le racisme. Cette homélie s’adresse à ceux « qui les célèbrent tout en nous envoyant leurs bombes ». Elle sonne comme une malédiction. Trois mois plus tard, les États-Unis, qui prodiguent sans compter bombes et munitions pour pulvériser Gaza, ont décidé de parachuter des vivres aux victimes de ces mêmes bombes et de ces mêmes munitions. En même temps, pour reprendre un mantra du président Emmanuel Macron. Une caricature montrant des fusées et des baguettes de pain s’abattant sur l’enclave illustrait la tartuferie occidentale. (…) À nos amis européens, concluait le Pasteur, je ne veux plus jamais vous entendre nous donner des leçons sur les droits humains ou le droit international. Nous ne sommes pas blancs, je suppose, selon votre logique que le droit ne s’applique pas à nous. Dans l’ombre de l’empire, vous avez transformé le colonisateur en victime et le colonisé en agresseur ».

La peur est là, et elle s’installe malgré soi… malgré tout. C’est le temps de l’épreuve et de la résilience. « Cette guerre nous a confirmé que le monde ne nous considère pas comme égaux. Peut-être est-ce en raison de la couleur de notre peau. Peut-être est-ce parce que nous sommes du mauvais côté de l’équation politique. Même notre filiation dans le Christ ne nous a pas protégés. Ils ont donc dit : s’il faut tuer cent Palestiniens pour venir à bout d’un seul « militant du Hamas », ainsi soit-il. L’hypocrisie et le racisme du monde occidental sont transparents et épouvantables. Ils envisagent toujours le mot de « Palestiniens » avec suspicion et réserve ».

Le Droit international est confronté à nombre de pays, comme la France, qui ont fait d’autres choix politiques entérinés élargissant de plus en plus les deux rives de la Méditerranée. Les ONG pâtissent de cette situation en sanctionnant celles qui dénoncent l’agression israélienne. Le gouvernement fédéral allemand soutient sans nuances la politique israélienne en criminalisant la solidarité avec la Palestine ; et principalement avec ce qui se passe à Gaza. L’Europe qui se mobilise contre l’antisémitisme en fermant ferme les yeux sur l’islamophobie oublie les revendications des Israéliens à la veille du 7 octobre qui demandaient la chute de Netanyahou, des changements profonds sociétaux et des élections… L’Europe ne joue plus son rôle d’intégration mais accentue les divisions, la peur entre les communautés, le communautarisme, et la montée des extrêmes. La Messe est dite en quelque sort… ; et l’on essaye même plus d’envisager les possibilités pour arrêter le conflit. On est fixé seulement sur les otages, et le sort de Gaza dans le futur et des problèmes politiques et de coexistence avec les Palestiniens n’est pas d’actualité. Le sera-t-elle un jour ? « Vous ne pouvez pas trouver une solution en étant aussi unilatéral, en ne vous intéressant qu’à une question particulière et en effaçant soixante ans d’atrocités. La solution ne consiste pas seulement à libérer les otages. Qu’en est-il des colonies ? Qu’en est-il de l’action des colons qui se poursuit quotidiennement ? Qu’en est-il de la dépossession (des Palestiniens) ? Leur terre, leur droit, leur dignité, leurs hommes, leurs femmes, leurs enfants ? Cela ne nous concerne pas ? Où est passée notre humanité ? Pourquoi cette hypocrisie ? » Fuir sous les bombes pour aller où ? Pour quel avenir politique faisant passer « le colonisé » et « l'opprimé » pour un terroriste…, le déshumaniser. Quelle indignité !

« J’avais clos en 2003 mon livre Israël-Palestine. Vérités sur un conflit par un récit biblique, celui qui conte l’histoire de Samson, un des héros de la lutte du peuple juif contre les Philistins. Il est fait prisonnier par ses ennemis qui lui crèvent les yeux et l’emmènent à Gaza. Un jour, les Philistins le font venir pour se divertir de lui : Samson palpa les deux colonnes du milieu sur lesquelles reposait le temple et il prit appui contre elles, contre l’une avec son bras droit et contre l’autre avec son bras gauche. Samson dit : « Que je meure avec les Philistins », puis il s’arc-bouta avec force et le temple s’écroula sur les tyrans et sur tout le peuple qui s’y trouvait. Les morts qu’il fit mourir par sa mort furent plus nombreux que ceux qu’il avait fait mourir durant sa vie. Je craignais déjà à l’époque que la poursuite de cette occupation n’entraîne Palestiniens et Israéliens dans un gouffre. Mes craintes se sont confirmées au-delà de l’imaginable… Trente ans plus tard, la chute du Temple risque de nous engloutir tous, au Sud comme au Nord. Comme nous avons essayé de le montrer, c’est l’avenir des relations internationales qui se joue à Gaza. Deux chemins se dessinent. Celui d’une guerre perpétuelle régie par la loi de la jungle, de tous contre tous, entre acteurs ayant chacun ses intérêts à défendre et ne se souciant que de les faire triompher… ».

Le regard de l’auteur né en Egypte et grand spécialiste de cette région du Monde qui s’est intéressé très tôt à ce qui l’entourait a le goût de la révolte et de l’amertume. Il essaie dans son livre de recontextualiser les faits en resituant l’histoire de ce pays disputé, les luttes palestiniennes et leur survie sur leur Terre, et que  l’autodétermination soit un chemin. Quelle parole peut-on avoir et quelles exigences peuvent être celles de la France pour ne pas devenir le complice silencieux de ce qui s’apparente à un génocide systématique en cours ? En France, aujourd’hui, est-il encore possible d’être propalestinien, et avoir un regard lucide et équilibré sur ce qui se passe en posant des jalons pour un avenir apaisé ? Un ouvrage qui fera débattre et réagir. Il complète les avis des uns et des autres, mais au moins il favorisera le débat démocratique et humanitaire pour des lendemains de Paix.