Cherche mari désespérément
Ghada Abdel AAL
Père Patrice Sabater, cm
Les Editions de l’aube rééditent le roman de Ghada Abdel AAL, la « La Ronde des prétendants », paru en 2013 et renommé « Cherche mari désespérément » (traduction de l’arabe égyptien de Marie Charton).
Ghada a une trentaine d’année. Elle est égyptienne. Elle vit à 150 kilomètres du Caire dans le delta du Nil (Gouvernorat de Gharbiya). Pharmacienne, elle est aussi une blogueuse très connue… Elle ouvre son Blog et l’intitule « Je veux me marier ! ». On ne s’affiche pas ainsi en Egypte, même sur la toile ! Un principe est transversal à toute la société et à la culture arabe : il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Ce qui est de bon ton, c’est-à-dire en adéquation avec la culture, les mœurs et surtout la religion, et tout le reste qui est négatif. Haram – péché !!! C’est une aventure qui commence. Ce Blog va devenir rapidement un livre tiré à 60 000 exemplaires. Il sera traduit en dix éditions, d’abord dans le monde arabe et, aujourd’hui, en Occident où il est devenu un best-seller.
Ghada Abdel Aal veut se marier. C'est devenu une obsession. Le temps presse, pense-t-elle. Elle ne veut pas être de ces fleurs oubliées sur le bas-côté de la route. Elle veut se marier avant qu'il ne soit trop tard, avant d'être traitée de vieille fille. On la regardera bizarrement, et l’on dira qu’elle doit avoir quelque chose qui ne tourne pas très rond pour ne pas trouver de prétendant. Désespérément, elle cherche… Cela frise la crise. La situation est bien orientale. Pour d’autres raisons, on en voit des traces également dans les Evangiles et dans la culture juive proche-orientale. Il y a des choses que l’on doit accomplir, et qu’une femme doit pouvoir vivre…
Elle décide d'écrire ce qui pour elle serait le mari idéal. Elle dit tout au haut ce que l’on chuchote dans les coursives. Elle transgresse les conventions, et lève du coup un tabou. Dans la société égyptienne, on ne parle pas de cela. Les choses sont déterminées, fixées, engagées… arrangées. En parler, c’est tomber dans la vulgarité. On ne cherche pas. On attend « d’être cueillie ». On vient vers la fille, mais on ne va pas vers le garçon ; fut-il son prochain mari ! On impose aux jeunes filles « une ronde des prétendants » dès que la famille estime qu’elle est à marier… On cherche... Ce qui est dit, ici, se retrouve de nos jours dans les sociétés subsahariennes ; au Niger, par exemple. Nous nous situons au cœur d’une société patriarcale et conservatrice. « Allez-y, dites Bismillah et suivez-moi pas à pas. Mais d’abord, mettons-nous juste d’accord sur le fait que parler du mariage, des prétendants ou du recul de l’âge du mariage est très délicat en Egypte. Vous aurez beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui s’exprime librement sur la question. Et surtout parmi les filles qui ne sont pas mariées. Parce que, pour les gens, une fille qui en parle est soit mal éduquée et vulgaire, soit pressée de se marier. Ou alors, trop âgée pour trouver quelqu’un qui veuille l’épouser…». (page 9) C’est ainsi que commence le livre…
Avec beaucoup d’humour, parfois il est vrai un peu grinçant, elle évoque le quotidien de Bride, une jeune pharmacienne célibataire pressée par sa famille de « la marier » (comme l’auteur du livre) et qui rencontre toute une file de prétendants. On ne peut s’empêcher de rapporter ce livre chaleureux et amusant au film « Le Journal de Bridget Jones » ; comédie romantique anglo-franco-américaine réalisée par Sharon Maguire, en 2001 (lui-même étant une adaptation cinématographique du roman éponyme d'Helen Fielding, publié en 1996). Bridget Jones, employée dans une agence publicitaire à Londres, décide de reprendre sa vie en main, de tenir un journal intime et trouver un petit ami, voire même l'homme idéal… Certes, comparaison n’est pas raison, mais comment ne pas y penser ? La chasse est donc ouverte. Il faut donner de sa personne. C’est urgent de se mettre en route au risque de rester une « vieille fille ». Et si Dieu, inch’Allah !!!, le veut cela lui sera donné… Ne dit-elle pas en conclusion de son livre : « Tant que Dieu n’aura pas permis à chaque fille de trouver sa moitié, nous continuerons à observer, à vivre et à affronter des aventures et des situations parfois rocambolesques et qui méritent d’être racontées. Je ne cesserai de mon côté de réclamer mon droit. Et je n’aurai jamais honte de vous dire : « je veux me marier ! Bride ». (page 245)
Dans ce livre écrit dans le dialecte égyptien et qui adopte un ton sarcastique, le mariage arrangé est ridiculisé. On rit… mais on frémit également quand on réalise que cela se passe encore de façon si pathétique. La drôlerie des situations nous fait sourire amèrement. Que sont ces femmes pour ces hommes ? Que sont ces filles, ces enfants chéris pour ces mères prêtes à tous les compromis pour « placer » ces jeunes filles encore fragiles ?
La société égyptienne dépeinte par de très grands noms de la littérature cantonne ces jeunes femmes dans un rôle d'épouse et de mère. Les autres… « non-réclamées » sont considérées comme des infirmes, des incapables... pour la procréation, pour s’insérer normalement (et, normativement) dans la société arabe. Ce livre nous ouvre à une société arabe qui essaye de faire bouger les lignes tout en demeurant ancrée dans la tradition et la culture arabe. Il nous permet de relire la place de la femme dans la société égyptienne, de revenir sur ce qui a été narré au moment de la révolution sur la Place Tahrir du Caire : femmes battues, insultées, violentées et/ou violées. La révolution du 25 janvier 2011 est un réveil pour ces jeunes femmes.
Une question de fond est sous-jacente à ce livre : « Pourquoi on se marie ? ». Une question que les jeunes filles égyptiennes ne se posent pas, et pourtant n’est-elle pas d’importance ? On se rencontre dans un salon pour arrêter les conditions du mariage. On ne parle des personnes pour elles-mêmes. La femme reste, malgré tout, un sujet de discussion sans fin dans les médias égyptiens : Droit des femmes, leur place dans la société, au travail... Parler des femmes ne veut pas dire chercher leur bien-être forcément, mais désigner avant tout le rôle qu’elles ont à tenir et comment elles vont le tenir. Néanmoins, il est aussi vrai que la société change peu à peu. Il faudra du temps… le temps ne manque jamais pour un oriental… Boukra ! En attendant, les femmes sont à leurs fourneaux, à la lessive ou auprès de multiples enfants. Dieu ne les a-t-il pas créées pour cela ? N’ont-elles pas à apprendre la docilité en toute chose ? Et à leur mari ? Il est urgent d’éduquer les cœurs et les mentalités. Des films proposent déjà, dans le monde arabe, des chemins d’investigations. Prenons-en deux ou trois par exemple : « Le Sixième jour » de Youssef Chahine, « La source des femmes » de Radu Mihaileanu et « Maintenant on va où ? » de Nadine Labaki. La religion est toujours là en toile de fond… Le Droit civil qui découle du Coran est aussi un lieu d’investigations pour améliorer la place de la femme dans la société arabe en général. Quant à l’éducation des cœurs et des esprits et la promotion de la femme, elles restent encore bien en-deçà des nécessités urgentes.
Ghada Abdel-Aal évoque, non sans humour, ces temps modernes dans les colonnes du quotidien arabe Al-Shorouk : « J’ai l’impression que la révolution n’était faite que pour les femmes. Il n’était pas question de renverser un régime injuste ou d’instaurer une politique différente. L’essentiel, ce sont les femmes. Je ne savais pas à quel point nous, les femmes, étions importantes. Les responsables s’occupent bien de nous ; ils n’ont pas d’autres chats à fouetter ... Ils s’intéressent à nos habits, à nos allures, à l’âge du mariage … Il n’y a que nous ».
Ce livre touchant, plein d’humour et souvent grinçant a été adapté en feuilleton télévisé dont l’auteur a signé le scénario. Le texte nous permet d’entrer plus en profondeur dans cette société arabe égyptienne en chemin de libération. Le chemin est sans doute encore bien long pour sortir des archaïsmes et libérer des vies trop enfermées sur elles-mêmes. Un bonheur !
Patrice Sabater, cm
7 décembre 2017
Ghada ABDEL AAL, Cherche mari désespérément (traduction de l’arabe égyptien de Marie Charton). Editions de l’Aube. Paris 2017. 248 pages. 10,20 €