Clefs pour comprendre l’œuvre d’Ibn Arabi

Auteur: Patrice Sabater
Meftah, Clefs pour comprendre l’œuvre d’Ibn Arabi. Les Futûhât al-Makkiyah. Editions I. 2024. (93 pages). 9,90 €
Les Editions I nous permettent une approche concise autour de l’œuvre de Ibn Arabi. Ibn ‘Arabī (Muhyī al-dīn Abū ‘Abd Allāh Muhammad bin ‘Alī bin Muhammad bin Ahmad bin ‘Abd Allāh bin al-‘Arabī al-Tā’ī al-Hātimī al-Andalusī, né le 26 juillet 1165, à Murcia (Espagne), et mort le 16 novembre 1240, à Damas (Syrie). Son œuvre est gigantesque. On compte à ce jour au moins 850 ouvrages connus.
Les textes présentés par les Editions I sont extraits du Buhûth hawla kutub wa mafâhîm al-shaykh al-akbar qu'on pourrait traduire par "Etudes autour des ouvrages et des concepts du plus grand des maîtres, Muhyîddîn ibn 'Arabî". Il n’est pas aisé de rentrer dans cette « cathédrale » de la pensée philosophique, mystique, théologique et poétique de ce grand penseur.
Inaccessible au premier abord, la pensée d'Ibn 'Arabî se différencie de celles d'autres mystiques musulmans car elle prône la cohérence absolue entre la Loi et la Voie; la Lettre ne s’oppose nullement à l’Esprit, et au contraire c’est dans la lettre que réside la voie intérieure de l’islam c’est à dire son ésotérisme. Grâce à l’ascèse et l’approfondissement, elle se révèle être cohérente. Pour Ibn Arabi, le Coran est une invitation au parcours spirituel que l'Homme doit parcourir pour réintégrer l'état originel, celui de l'Homme universel dont le Prophète est l'exemple. La sainteté c'est l'accès aux noms divins et aux significations cachées du Coran, lesquels ne dévient pas du sens littéral. Le « Trésor caché ». Cette notion renvoie au hadîth dans lequel Dieu déclare : « J’étais un Trésor caché et j’ai aimé [ou voulu] à être connu. Alors j’ai créé les créatures afin d’être connu par elles ». Dans ce hadîth la volonté de Dieu d’être connu est véhiculée par le désir et l’amour : « Lorsque Dieu S’est connu Lui-même et a connu le monde par Lui-même, Il l’a créé selon Sa forme. Le monde fut donc un miroir dans lequel Il contemple Son image. Il n’a aimé, en réalité, que Lui-même ». Ce rapport de soi à soi se comprend par le fait que le monde tout entier, connu par Dieu dans Sa science éternelle, n’est que formes épiphaniques pour Sa manifestation (tajallî). En Se manifestant dans ces formes, Il Se connaît et Se contemple et aime la créature en S’aimant Lui-même.
Son œuvre domine la spiritualité islamique depuis le XIIIe siècle. Nous retenons de lui le plus souvent son inclinaison pour la réflexion métaphysique de l’islam. Son œuvre s’étend pluridimensionnelle et pluridisciplinaire, comme cela est souvent le cas à cette époque, aussi à la doctrine ésotérique de « Unicité de l'Être » ; ce qui lui permit de bénéficier du surnom de « sceau de la Sainteté ». Il en est le sommet et le Maître absolu en faisant de l’ésotérisme islamique une somme la plus complète et systématique. Roger Deladrière, dira de Ibn 'Arabi qu’il est l'auteur de « l'œuvre théologique, mystique et métaphysique la plus considérable qu'aucun homme ait jamais réalisé ». Les Catholiques pourraient rapprocher ce mystique et de son œuvre, d’une certaine façon, à Saint Thomas d’Aquin ou à Saint Anselme de Canterbury. On le surnomme aussi Ibn Aflatûn, « fils de Platon ». Il rejoint le Panthéon d’autres grands penseurs de cette période féconde Maïmonide, Avicenne, Averroès, Ghazali, Al-Hallaj, Mevlana (Rumi).
Il est nécessaire de mettre Ibn Arabi au cœur des débats de son époque, avec son temps, sa postérité, et aussi avec ses détracteurs ; dont Ibn Taymiyyah et Mohammed ibn Abd el-Wahhâb – initiateur de la pensée wahhabite). Son œuvre traite de toutes les sciences religieuses islamiques : celles de la Chaaria, celles de la Haqîqa (Vérité métaphysique et ésotérique et celle de la Tarîqa ; autrement dit la voie spirituelle et exotérique qui mène le croyant à la « réalisation » de la Vérité.
La voie mystique n'est ni rationnelle ni irrationnelle : l’esprit échappe aux limites contraignantes tandis que la philosophie (Fasalfa) se déploie hors du domaine de la Raison. Sa pensée est au carrefour d’une rencontre féconde entre l'intelligence, l'amour et la connaissance. En cela il rejoint le grand Al-Hallaj. Selon lui, la science du Coran réside dans les lettres placées en tête des sourates, conception que l'islam doctrinal actuel n'admet cependant pas. Aujourd’hui encore ce mystique ne fait pas l’unanimité comme Averroès en son temps… Durant les siècles sa pensée fut violemment critiquée et attaquée. Aujourd’hui encore, l'orthodoxie islamique marginalise ses positions.
Le livre présenté ici est unique en son genre puisqu’il nous ouvre sur des textes inédits en français et portant essentiellement sur la structure d'ensemble des Futûhât al-Makkyah, "Les Illuminations de La Mecque". Il s’agit pour ainsi dire d’un comput de l'enseignement d'Ibn Arabi. Nous découvrons aussi le mystique de l’islam lorsqu’il était âgé seulement de dix-sept ans, avec Averroès (Ibn Rushd) bien plus vieux que lui. Son auteur ‘Abd al-Baqî Miftah, savant et shaykh algérien est né le 9 avril 1952 à Guémar, dans le Sud-est algérien. Il est considéré comme une des grandes références intellectuelles à propos de l’œuvre d’Ibn Arabi.
L'auteur analyse la structure et les principaux enseignements de cette œuvre. La structure des Futûhât, comme celle de l’univers, est érigée sur trois grandes « Présences » (hadrât) qui très souvent s’interpénètrent : la Présence des Noms divins, la Présence du Coran et la Présence des lettres et de leurs valeurs numériques. L’ouvrage des Futûhât est composé de six sections qui se réfèrent aux Noms divins fondamentaux (matriciels, al-ummahât).
Donc, le premier chapitre présente les Futûhât comme fondées sur Trois piliers fondamentaux : les Noms divins, le Coran ainsi que la Science des lettres et leurs valeurs numériques. ‘Abd al-Baqî Miftah, l’auteur, démontre d’une que la composition des Futûhât suit, en réalité, un ordre subtil et harmonieux. On lira avec grand intérêt les commentaires de l’auteur pour ordonner sa pensée et sa compréhension du texte à partir des six sections composant les Futûhât.
Le deuxième chapitre, présente la rencontre entre Ibn Arabi et Averroès. Ce dernier avait beaucoup d’estime et d’admiration au sujet de son jeune « confrère ». Au moment de l'entrevue, Averroès est au sommet de sa gloire tant son autorité sur le plan philosophique est grande et attestée au-delà d’Al Andalus; il vient de publier son célèbre traité : "Le Dévoilement des méthodes de démonstration". Les deux esprits diamétralement opposés quant à leur vision du monde (mystique et rationnelle).
Ibn ‘Arabî surnommé le shaykh al-akbar, « le plus grand des maîtres », est une figure majeure du soufisme. Son œuvre mêle mystique amoureuse et métaphysique profonde. Le but du soufi est d’identifier sa volonté à la volonté de Dieu et d’être, corps et âme, un lieu de manifestation divine. Il s’agit d’une voie initiatique et ascétique, où la lutte contre les passions, avec l’aide du cœur, conduit à l’extase par une union avec Dieu, fondée sur l’amour mutuel mentionné dans le Coran. Le Soufisme n’est pas une école théologique et juridique qui viendrait s’ajouter aux quatre écoles déjà existantes. Il ne s’agit pas non plus d’un schisme. Il s’agit d’une conception ésotérique de la relation de l’homme au monde et à l’entité divine.
Lorsqu’il a vingt ans, la maladie le terrasse. On pense qu’il est au bord de la mort. Il entend l’appel du Ciel qui lui demande de s’adonner à l’Amour de Dieu, et y répond par l’élection de la “Voie soufie”. Il abandonne alors immédiatement son existence de lettré et de haut fonctionnaire et se lance dans une recherche intérieure de l’adoration de Dieu et de l’apaisement de son âme. Sa conversion débute par une retraite de neuf mois de la vie active, sous la direction d’un Maître spirituel, qui se consacre à la formation de jeunes gens attirés par la vie spirituelle du Soufisme. Une fois sa retraite achevée, il approfondit ses connaissances métaphysiques et rendit visite aux grands maîtres soufis des différentes écoles de pensée dans toute l’Andalousie. Il commença alors à composer ses premières œuvres ésotériques, et forma, lui aussi, des âmes qui aspiraient, comme lui, à la spiritualité et au salut.
Dès son entrée dans la Voie soufie, il fit preuve de connaissances psychiques et d’une érudition exceptionnelles, phénomènes qui attirèrent la curiosité du grand philosophe et penseur Averroès, qui était un ami très proche du père d’Ibn ‘Arabî. Il raconte cette rencontre mémorable entre Ibn ‘Arabî a alors 14 ans et sa vocation est marquée par une quête de sincérité, de perfection et de vérité. Cette attitude d’ouverture à l’universel ne pouvait pas vraiment s’exprimer dans l’environnement andalou de son époque, comme souhaité et désiré. Il est de plus en plus confronté à l’autorité spirituelle et temporelle qui le pousse à soumettre ses pensées et ses sentiments à la lettre de la religion. En 1198, il assiste aux funérailles d’Averroès.
Cette même année 1198, à l’âge de 33 ans, il décide de partir en Orient. Il voyage alors dans son Andalousie natale, rendant visite aux différents maîtres soufis qu’il a connus, pour leur faire ses adieux et solliciter leur sagesse. Il se rend ensuite au Maghreb, où il visite des centres d’études islamiques renommés tels que Salé, Marrakech, Fès et Tunis. À Tunis, il a eu une vision divine qui lui a ordonné de se rendre en Orient. De Tunis, il se rend au Caire, puis à Hébron et à Jérusalem, où il prie dans la mosquée al-Aqsâ, et part ensuite, à pied, vers La Mecque, où il arrive en 1202.
A cette époque, commence pour lui une grande aventure de 40 ans dans l’Orient musulman. Il reste deux ans à La Mecque, plongé dans des méditations qui aboutissent à des visions et des rêves mystiques. Ses voyages le conduisent à Bagdad, Mossoul et en Anatolie. Partout, il côtoie des maîtres soufis, reçoit et transmet des enseignements métaphysiques et spirituels, pour le plus grand plaisir de son âme. En 1224, il s’installe définitivement à Damas et malgré les critiques des oulémas orthodoxes, il mène une vie de travail, de recherches approfondies et d’enseignement assidu et meurt dans cette grande capitale islamique à l’âge de 76 ans.
Ce petit livre est une source sur ce Maître de l’islam qui intéressa beaucoup l’Emir Abd el Khader, et l’éloge que nous trouvons dans ces pages donneront une rondeur et une connaissance de l’intérieur de ce grand Maître à penser. Merci aux Editions I de nous donner accès à ce qui était jusqu’à présent inaccessible. A lire !