Note de lecture sur les ouvrages d’Etienne Fouilloux consacrés à Yves Congar et Marie-Dominique Chenu (Ed. Salvator)
Auteur: Michel Van Aerde
Etienne Fouilloux, Yves Congar, Ed. Salvator, Paris, 2020, 350p.
Etienne Fouilloux, Marie-Dominique Chenu, Ed. Salvator, Paris, 2022, 276 p.
On le sait, les drames de famille provoquent chez les enfants et petits-enfants des traumatismes qui restent enfouis jusqu’à ce que l’on découvre le journal ou les mémoires du grand père, ou que l’on rencontre un témoin et que la parole se libère, que la vérité émerge enfin. Qu’Etienne Fouilloux, l’auteur de ces deux grands livres : Yves Congar[1] et Marie-Dominique Chenu[2], soit vivement remercié. Ces ouvrages sont particulièrement intéressants en ce qu’ils documentent les traumatismes infligés à deux éminents théologiens injustement condamnés et sanctionnés par l’autorité. On comprend que ces mots sont piégés car la dite « autorité » était incarnée par le père Thomas Philippe dont les crimes sont désormais avérés. Y a-t-il un lien entre tous ces abus ?
Par le sérieux, la délicatesse, le professionnalisme de sa recherche et de son écriture, E. Fouilloux nous rend Chenu et Congar vraiment proches intellectuellement et humainement. Ce travail d’histoire, on aimerait dire « de justice », fait du bien. Il y a ceux qui écrivent l’histoire et ceux qui la font disait quelqu’un brutalement, mais tout dépend de la manière. Chenu « écrit » et « fait » l’histoire tout à la fois. E. Fouilloux le fait aussi, membre de la commission historique des dominicains qui cherche à faire la lumière sur la théorie sous-tendant les abus des frères Thomas et Marie-Dominique Philippe. Nous lirons bientôt ses conclusions.
Ceux qui se sont acharnés contre Chenu et Congar laissaient entendre un problème d’ordre intellectuel, dogmatique, un combat dont ils auraient été les héros, entre la vérité et l’hérésie mais, on le sait maintenant, ils avaient l’esprit faux. L’histoire récente nous révèle de plus qu’ils étaient emblématiques d’un système d’abus qu’ils avaient même théorisé.
Grace aux travaux historiques d’Etienne Fouilloux, on mesure combien la blessure est profonde pour les victimes, aussi fort que soit leur tempérament : « J’ai alors pleuré pendant des heures et sangloté comme un enfant »[3].
Dans sa lutte acharnée contre la mauvaise foi, on reproche à Chenu son optimisme mais, comme le note E. Fouilloux, il s’agit d’un souffle bien plus profond qu’un simple optimisme. « Le recours à la vertu théologale d’espérance était son principal remède, additionné d’énergiques tapes dans le dos »[4]. En ce qui me concerne, mon épaule endolorie se souvient encore de ses exclamations enthousiastes : « Dieu, dans l’histoire ! » Il y avait chez Chenu ce raisonnement par récurrence qui soutient toute la Bible et qu’il appliquait au XIIIème et XXème siècles. Tu nous as fait sortir d’Égypte et tu nous sortiras de l’Exil. Tu nous as fait sortir d’Égypte et de l’Exil, donc tu nous sortiras … de la Shoah. Appliqué à l’Ordre des Prêcheurs, cela donne : « Nous sommes nés d’une rencontre, d’un affrontement de l’Église et du monde – d’un monde déjà moderne – ; ce fut alors, en action, et plus encore en pensée, un défi. Nous l’avons relevé joyeusement, par le mouvement même de notre nature. Soyons fidèles à notre nature. »[5]
Comme le Concile l’a vigoureusement affirmé « La nature de l’Église est missionnaire ». Comment cela pourrait-il se vivre sans une rencontre du monde, les hommes – ce qui veut dire aussi les femmes –, les classes populaires et les intellectuels, les protestants et les communistes, les nouvelles technologies et les autres religions ?
[1] Etienne Fouilloux, Yves Congar, Ed. Salvator, Paris, 2020, 350 p.
[2] Etienne Fouilloux, Marie-Dominique Chenu, Ed. Salvator, Paris, 2020, 276 p.
[3] Etienne Fouilloux, Yves Congar, Ed. Salvator, Paris, 2020, p. 200.
[4] L’auteur parle d’un « optimisme inoxydable », in - Marie-Dominique Chenu, p.39. Voir aussi p. 237.
[5] Etienne Fouilloux, Marie-Dominique Chenu, Ed. Salvator, Paris, 2020, 255 p.