Je viens d’Alep – Itinéraire d’un réfugié ordinaire
Joude JASSOUMA
avec Laurence de CAMBRONNE
Père Patrice Sabater, cm
Alep, juillet 2012, la ville bascule dans la guerre civile.
Joude Jassouma, né en 1983 et vivant à Alep, est un Syrien ordinaire qui a connu les deux derniers Présidents : Hafez et Bachar el Assad. Il donne une photographie de ce qu’était la Syrie avant le début de la guerre : situations politique, culturelle, multiconfessionnelle de l’islam « plutôt contenu » et des rapports très conflictuels avec l’Etat hébreu. Il raconte ses souvenirs d’enfant, ses relations d’amitié, la vie de son quartier populaire. La Syrie est par nature un pays en guerre ou qui se prépare à la guerre. A 13 ans, l’apprentissage du maniement de la kalachnikov est inscrit au programme de la vie scolaire. Il a dû travailler très tôt, à 9 ans dans une épicerie, et à 12 ans dans un atelier de confection textile.
Rien ne préparait cet homme à entrer dans le tumulte de la guerre, et à se résoudre à quitter la Syrie. Joude est passionné par la langue de Molière… Il étudie le français. Il essaye de poursuivre ses rêves. Il est un jeune professeur de français au lycée.
La vie se complique de plus en plus. Il convient de déménager souvent et, surtout, de se cacher pour éviter l’enrôlement dans l’Armée de tout homme ayant entre 18 et 42 ans. Les rêves prennent l’eau… Joude est arrêté en tant que déserteur. En temps de guerre, cela peut lui être fatal.
Cependant, tout n’est pas si négatif que cela puisqu’il rencontre sa future femme, Aya, de qui il aura un enfant. L’accouchement se passera, d’ailleurs, dans des conditions assez rocambolesques. Enfin, une petite fille portant le nom de Zaine Alsham naît. La situation se complexifie de plus en plus et la guerreà Alep devient douloureuse, implacable et dangereuse. Un jour, il doit enterrer une main restée sur le bord de la route tandis qu’un chien a entre les crocs de sa gueule la tête d’un homme décapité. Ils sont à genoux, et la peur au ventre leur tient lieu de raison d’être, principalement pour ne pas flancher. Il faut se battre. Et en 2015, c’est décidé il faut partir… Bientôt, ils partent pour la Turquie et pour la Grèce et rejoindront l’Europe dans une embarcation de fortune. Avec Joude et sa femme, nous suivons pas à pas la réalité migratoire la plus importante depuis le siècle dernier. Sorti comme par magie des eaux de la mer Egée, un panneau se dresse devant eux : « Welcome to Greece »…, puis ce sera le départ pour la France, celle des rêves et des études à l’université où il avait déjà repéré sa femme sans jamais avoir osé lui dire son amour… Istanbul et les camps de réfugiés de l’île de Leros et d’Athènes sont derrière. L’odyssée de ce jeune couple dit le drame de ces populations quittant leur pays, devenant réfugiés aux limites de nos frontières, et souvent chez nous où ils n’ont pas toujours bonne presse.
Joude et Aya trouveront une terre d’asile et d’accueil à Martigné-Ferchaud, petit village de Bretagne. Loin de chez eux, l’espoir va pouvoir renaître. La petite Zaine âgée de deux ans, née sous les bombes, ne connaît pas son pays. Le connaîtra-t-elle un jour ?
La liberté et l’espérance étaient au bout du chemin. A 4000 kilomètres de la Bretagne, Alep essaye de survivre et de se relever après presque six ans de guerre . Accueilli en France mais déraciné d’une terre, Joude espère « qu’un jour, en France, plus personne ne me considère comme un réfugié ». Comme lui hier, pourrions-nous aussi rêver qu’il puisse retourner, avec sa femme et sa fille, dans son pays pour reconstruire une ville, un pays, pour que Zaine connaisse la terre de ses aïeux, pour que chacun retisse des liens avec leurs familles et leurs amis ? On souhaiterait entrer dans les pensées de ce jeune Alépin en première de couverture…
Ce livre nous permet d’ouvrir les yeux. Qu’il ouvre aussi les cœurs et les bras.
P. Patrice Sabater, cm
21 décembre 2017
Joude JASSOUMA avec Laurence de Cambronne, Je viens d’Alep – Itinéraire d’un réfugié ordinaire. Editions Allary. Paris, 2017. 222 pages. 18,90 €