Juste avant l'aube. Lettres de guerre et d'espérance du curé d'Alep
Ibrahim ALSABAGH
Père Patrice Sabater, cm
Au cœur de l’horreur vécue à Alep, « un rêve prend forme ». La ville est devenue sûre. C’est par ce constat que le Frère Ibrahim ALSABAGH, franciscain originaire de Damas, introduit la narration de la vie quotidienne à Alep. Son frère en saint François, Mgr Georges Abou Khazen, ofm – Vicaire Apostolique des Latins d’Alep, affirme dans la Préface : « Nous avons besoin que le fleuve de sang cesse de couler, de part et d’autre... Ici, l’être humain n’a plus de valeur ! » Ici, il s’agit très justement de cela, mais pas seulement. Les pages qui nous sont offertes expriment la foi chevillée au corps de ces hommes et de ces femmes qui aspirent à la paix et qui se débattent au jour le jour pour ne pas… flancher. Les paroles du Frère Ibrahim écrites en août 2016 font écho à celles du Vicaire Apostolique : « Ici, on est en train de détruire l’Homme ».
Arrivé à Alep en 2014, à la demande de ses supérieurs, le franciscain n’ignore pas la situation de son pays. Comme on espère contre toute espérance, et peut-être pour conjurer le sort qui s’acharne sur la population alépine, le religieux commence à écrire un journal de guerre. Un journal dans lequel il va narrer jour après jour ce qu’il vit au milieu de son peuple, et ce que les gens vivent avec lui. Ces pages nous racontent donc la vie quotidienne à Alep sous les bombardements. Cette vie ne perd pas l’espérance malgré les carences en électricité, en eau, en nourriture et en soins. Pour autant, le Frère Ibrahim ne dresse pas un tableau fait uniquement de tragédies, mais aussi de ces fioretti que seul un franciscain sait faire goûter au milieu de rien !
Curé de la Paroisse saint François d’Assise dans le Quartier d’Azizieh, le nouveau pasteur du troupeau compte 600 familles réparties entre neuf communautés chrétiennes. Que faire quand tout manque ? Le danger de mort est permanent, la mort pouvant frapper chacun à n’importe quel moment de la journée. On ne peut baisser les bras parce qu’il faut chercher de l’eau, de la nourriture, donner du réconfort, tendre les bras et consoler les affligés. Pas de temps à perdre. Un jour le Frère François à Assise avait entendu la voix de Dieu lui dire : « Va, François, rebâtis mon Eglise ! » Aussitôt dit et aussitôt fait. Le Poverello d’Assise retrousse ses manches et ouvre son cœur. En disciple de son saint Patron, le Frère Ibrahim se met également au travail. De 2012 à début 2017, il reconstruit 260 maisons grâce à l’aide généreuse de volontaires et de quelques donateurs. Les demandes ne cessent d’affluer. La ville est quasiment détruite et les besoins sont nombreux… C’est peine de voir cette ville qui, avant le conflit, fournissait 60% de la production industrielle de la Syrie. Une ville de 4 millions d’habitants, et forte de 30% de chrétiens. La capitale du Nord ne compte plus aujourd’hui que 3 à 4% de chrétiens…
Au risque de sa vie, le Frère Ibrahim ALSABAGH persiste dans son apostolat de tous les instants. Il n’abandonne pas son poste. Il s’inscrit dans l’histoire de cette Ville-symbole, de cette Ville-martyre. Il s’inscrit surtout dans les cœurs qui partagent les mêmes espoirs, la même espérance et les mêmes souhaits de paix. Il n’est pas le seul ! « Les Frères de la Custodie, dit-il, sont donc restés en Syrie, jusqu’à aujourd’hui, avec leurs chrétiens ».
Ce journal se termine le 13 décembre 2016, à quelques jours de la préparation de Noël. « Le dévouement gratuit et désintéressé est contagieux : alors qu’au début mes frères et moi-même agissions seuls, presque à mains nues, nous pouvons maintenant compter depuis longtemps sur un important groupe de volontaires, d’hommes et de femmes de tous âges qui nous appuient dans le travail quotidien d’assistance et qui viennent en aide aux autres avec une générosité émouvante. En outre, de nombreuses personnes en Occident se soucient de ce peuple martyrisé et nous font parvenir un peu d’argent… (p 292) C’est le Christ qui nous donne la force et qui fait le cœur assez grand pour prêter attention et secours à cette humanité blessée. Nous voulons apporter Sa proximité, Sa paix et sa consolation (…) (p 293). Nous tentons d’être des prophètes d’espérance. Ces jours-ci, nous avons décoré l’église et allumé les lampions tout autour : dans l’obscurité de la nuit et des cœurs, ils sont le signe de l’espérance et de la lumière que nous attendons et qui, nous en sommes certains, reviendra ». (page 296)
Un livre puissant en douceur au cœur d’un monde féroce, mais qui porte à l’espérance…
En ces périodes de fêtes de Noël, puisse-t-il tomber dans de nombreuses mains pour veiller à ce que ces lumières soient demain des lumières de paix et de concorde pour reconstruire un pays, des populations, et des frères chrétiens qui restent chers à nos cœurs.
Patrice Sabater, cm
Novembre 2017
Ibrahim ALSABAGH, Juste avant l’aube. Lettres de guerre et d’espérance du curé d’Alep. Ed. Le Cerf, Paris 2017. 319 pages. 20 €