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La grande peur du petit blanc

28 avril 2025 | resena
La grande peur du petit blanc

Auteur: Patrice Sabater

Frédéric Paulin, La grande peur du petit blanc. Ed. Goater noir. Rennes 2021.

« Ne t’attends pas à faire une guerre propre.

Ça n’existe pas, les guerres propres ».

Les « événements » d’Algérie. Une guerre qui n’a pas de nom parce que civile, honteuse, par pudeur ou en raison d’un déni… parce qu’une guerre fusse-t-elle civile ne pouvait exister dans la France de De Gaulle. Cette Guerre se prolonge sans fin, et créé encore de nos jours sur les deux rives de la Méditerranée des rancœurs, des amertumes, des solutions non résolues et des blessures pas encore complètement refermées. Le seront-elles un jour, d’ailleurs ?

Les Éditions GOATER rééditent un polar de Frédéric PAULIN qui se déroule durant la Guerre d’Algérie.

Un des personnages de ce polar historique roman se nomme Gascogne. Il est sous-lieutenant. Il fait ce qu’il doit faire comme soldat et officier. Il se conforme aux ordres. Il n’est pas du tout convaincu du bienfondé de ces ordres, de son devoir, de ce que fait la France, ici ; et tout compte fait que l’Algérie doive rester française. Il se conforme si bien à ce qui lui est demandé qu’il participe à la répression du Mouvement de Libération en cours. En avril 1958, à Souk Ahras, plus de 600 Algériens seront massacrés, ainsi qu’une centaine de soldats français. Le sous-Lieutenant Gascogne rechigne à exécuter des séances de torture ou à les laisser s’organiser, pourtant il ne dit rien. Il acquiesce bon gré mal gré.

Il pressent que la « sortie » de la France de ce conflit ne se fera pas sans violence, sans vengeance et sans drame. Il décide un caporal harki de sa compagnie de rejoindre la Métropole. Une fois arrivé en France, il est aussitôt contrôlé par la Police, et est dans la foulée renvoyé en Algérie. Ce renvoi équivalait à une peine de mort immédiate dès son retour en Algérie. Le FLN l’exécuta en tant que traitre à la cause algérienne et à l cause de libération du Peuple algérien. Les choses sont simples, tranchées, immédiates, et sans appel. Le jeune Officier démissionne de l’Armée française. Il s’engage avec entrain alors dans la lutte contre lutter l’OAS. La torture est encore présente, et pas plus propre ici qu’elle ne l’était là-bas… À Rennes, il y ouvre une Agence de Détective privé. Une communauté importante d’Algériens, est présente dans la ville bretonne. Parmi ces immigrés on retrouve d’anciens militants ou harkis.  La plupart d’entre eux travaille à l’usine Citroën. Sera-t-il possible de désamorcer la haine et de regarder l’autre autrement ? Comment cet autre, à son tour, me regardera ? Y-aura-t-il un chemin de paix et de réconciliation possible pour ces ennemis et ces « frères » d’un moment ? Le conflit est toujours là parmi eux. Il rôde. Il ampute. Il conquiert les cœurs et les pensées. Il « bouffe » le présent et l’avenir de ces hommes encore hier face à face dans le Djebel ou la Casbah. 

La peur est toujours là… Les sentiments de peur se sont croisés et ont changé de camp.

Nous reviennent à la mémoire les ratonnades, l’assassinat du Métro Charonne pour se remémorer d’un temps où il ne fallait pas ni trop trainer ni trop musarder dans les rues de Paris et/ou de France si le visage ne correspondait pas à celui d’un métropolitain bon teint… ; et force est de constater que la peur était surtout plus d’un côté que d’un autre. Pour autant, ce serait oublier les agissements de l’OAS et des plus ultra qui, jusqu’au-boutistes, souhaitaient conquérir ou garder par la force ce qui leur semblait être à eux.

Fred Paulin croise les lieux, les époques, les personnages et les références historiques et politiques. L’auteur, à travers la vie de quatre hommes, deux Algériens et deux Français, nous dépeint une époque, l’ambiance de la Guerre d’Algérie d’un côté de la Méditerranée et de l’autre, les questions de ces hommes et leurs destins tragiques : Rennes 1971, Alger 1962, Philippeville 1961, Banlieue parisienne 1971, Souk Akras 1958, Paris 1964, Alger 1957… Des lieux, des dates et des personnages qui reproduisent cet univers au fil des pages. Louis, Alain, Victor, Beaumont, Achraf engagé au sein du FLN et de l’ALN, et Kader le Harki. L’histoire de ces personnages nous conduit dans les méandres de ce conflit qui s’est exporté d’une certaine façon à Rennes, et qui nous tient jusqu’au bout du polar en haleine. Chacun d’entre eux campe une vie, une situation, un rapport à son pays d’origine et au patriotisme français ou algérien, à ses rêves, à ses ambitions, à son idéologie, à une idée de la France et de la (dé)colonisation. Parmi ces personnages, nous retiendrons Mekchiche, Laïfaoui, et Rochdi (fils du précédent). Laïfaoui avait été assassiné après avoir été savamment torturé par les Français. Autres temps autres mœurs… sans doute !

Il est heureux que ce polar soit réédité dans une version nouvelle et au format poche au moment où à nouveau les rapports diplomatiques et bilatéraux entre l’Algérie et la France sont à nouveau tendus. La beauté des personnages, la vérité des situations, l’atmosphère en Algérie et en Métropole sont bien rendus et donne à ce roman sombre sa part de lumière sur une époque qui n’est pas si loin ; et toujours aussi irrémédiablement proche.