La Marche et le sacré ou la « Maison des Ailleurs »
Auteur: Patrice Sabater
Sébastien de Courtois, La marche et le sacré – Quelques pas vers l’éternité. Ed. Salvator, Paris 2024. 120 p., 14,90 €
Quelques pas suffisent-ils pour marcher vers l’éternité et essayer de l’atteindre ? Sébastien de Courtois, écrivain et spécialiste reconnu des chrétiens d’Orient, animateur et producteur de l’émission “Chrétiens d’Orient” sur France Culture, se pose… enfin ! Après avoir foulé de nombreux chemins, parfois improbables en Orient et en Afrique où il a conduit, il nous offre une respiration intérieure, plus intimiste, et tout compte fait plus personnelle dans un ouvrage singulier nous invitant à reconsidérer notre rapport à la marche et à la spiritualité. « J’étais arrivé en Chine orientale par les chemins détournés de la route de la soie, depuis Istanbul d’où j’étais parti plein est pour une longue marche, vers cet orient légendaire qui m’attirait comme la mère de toutes les sources. J’étais encore dans cette période de vie où il est possible de croire en l’abolition du sentiment d’impuissance, en ce qui peut ressembler à l’idée de liberté et d’aventure ». Et là, le chemin commence à se faire, à dessiner les premiers contours, et marquer les premières traces sur le sol emprunté jadis par d’autres marcheurs. Découvrir des terres et des personnes pour revenir vers le centre, vers l’essentiel, faire anamnèse de sa vie et laisser monter un besoin vital et inaltérable. Sa première dédicace induit ce temps de pose puisqu’il reprend l’Apôtre Paul en le citant : « Je fléchis le genou devant le Père ». On ne met pas le genou à terre sans raison et sans que son être reconnaisse humblement la petitesse et la grandeur de son humanité devant le Créateur. Sur les chemins il comprend intérieurement « qu’un paysage pouvait prendre une dimension sacrée au regard des hommes que nous sommes, devant cette force qui provoqua en moi une formidable joie mêlée d’effroi – celle de la liberté dans sa version la plus extrême, la plus nette : la nature comme seul temple (…) Je crois à la continuité des lieux et des paysages, je crois à la pérennité de cette vie qui nous oblige à l’espérance dans un monde en décomposition ». Un besoin vital, un besoin d’exister.
Un souffle de vie. Comprendre ce besoin et lui donner une direction. C’est en marchant qu’il découvre qu’il était dans une continuité. Il y a sans doute là un prisme oriental fort. « Je marche dans les ruines de l’Histoire ». Quand on marche on rencontre. La marche est lente. « Je vais dans des directions où il y a des rencontres possibles ». La marche est aussi une flânerie, et ouvert à une démarche intérieure.
Il se reconnecte avec le sacré en marchant lentement, en faisant des poses, en découvrant des lieux, en échangeant avec ceux qu’il croise, et les populations avec qui il se nourrit des empreintes vivantes des civilisations passées. La marche solitaire. Le pèlerinage. C’est une direction commune vers un endroit sacré. Il y a une prière, une communion… un processus et une ouverture qui se crée. La marche ouvre au sacré à condition qu’il y ait une démarche intérieure. Elle participe à une méditation et apprend à regarder. Un apprentissage qui se fait par la pratique. « Se mettre en danger ». Sébastien de Courtois le dit dans une Page du magazine Le Point : « La rencontre demeure un rempart contre l'égoïsme, contre notre propre diminution morale, contre nos démissions successives et nos lâchetés. Depuis que je mélange mes pas à la poussière du monde, je n'ai jamais cessé de l'expérimenter ». Le pas lent il ne cesse de contempler ce qui l’entoure, et qui le conduit à une expérience intérieure et spirituelle en abordant ce qui devient parlant pour lui : le sens du sacré dans les détails du quotidien.
Il nous conduit en Turquie (en Cappadoce, en Anatolie, à Tur Abdin), en Syrie, en Irak, à Chypre, en Chine, dans la Corne de l’Afrique, en Egypte… il fréquente le Liban et la Terre Sainte). Il évoque Jérusalem et les rois qui s’y sont succédés, les Chrétiens de ces terres qu’il aime et les populations qui en donnent une image encore vivante. Il redécouvre la tradition byzantine en Turquie à Tur Abdin, à Mar Moussa, à Sainte Sophie ou dans l’ancienne Chalcédoine, mais c’est à « Antioche que je continuais à chercher, l’endroit des certitudes là où le livre sacré devient livre d’histoire ; une curiosité qui est devenue depuis une ligne de conduite ». Il prie à voix haute le chapelet. Il murmure ou au contraire il parle à voix haute… à lui-même, et son esprit se tourne vers Dieu. Cette marche le transcende et l’appelle à devenir un autre, et en même temps un frère en humanité. La marche nous fait devenir à nous-mêmes, et la foi est le Chemin.
Dans ce récit très différent de ses précédents écrits, il se dévoile dans l’intimité de la beauté
d’un coucher de soleil sur les montagnes d’Anatolie ou dans la rencontre du Père Paolo dell’Oglio au monastère syrien de Mar Musa (Jésuite, enlevé par Daesh et pour qui nous n’avons plus de nouvelles). Ce chapitre sur la sobriété et celui qui le précède sont d’une grande intensité. Sébastien de Courtois croise de nombreuses personnes bergers ou moines, des femmes, des croyants, des villageois et des enfants. Les pas vers l’éternité se fait alors comme un lieu de dialogue interculturel et interreligieux qui est son lieu d’expérience depuis de très nombreuses années.
A la lecture de ce récit, comment ne pas songer au dialogue entre le Frère Léon et Saint François d’Assise sur « la joie parfaite », sur les écrits et l’expérience de Charles de Foucauld ou du périple d’Arthur Rimbaud ; auteurs et personnalités avec qui il a un lien très personnel. La légèreté amène à la plénitude. Une joie qui se trouve dans l’harmonie. On se sent en décalage. Une marche mystique qui aboutit à l’harmonie. Vivre un moment de grâce. Des yeux remplis de joie à ce moment-là.
On revient toujours à son passé et à son enfance. L’auteur nous le rappelle dans les premières pages, et il y revient à la fin. « J’étais l’enfant qui ne parle pas, l’enfant qui a réouvert les yeux dans l’eau pure du baptême. J’écris maintenant pour transmettre cet enchantement avec lequel je m’identifie, comme un présent perpétuel. Si je me retourne, c’est pour rapprocher mon vécu de ce désir d’enfance (p 22) … Je n’ai plus peur. J’ai rempli ma part du contrat. J’ai tissé ce qu’il fallait pour mieux comprendre (…) Je suis prêt à refaire le tour du monde. Je prendrai mon fils (Constantin) avec moi pour lui montrer ce qu’il en reste ; nos paysages, nos océans et forêts. Je veux qu’il s’immerge à son tour : pour éviter l’étroitesse d’esprit, la nature devrait être obligatoire. L’enfant qu’il est encore transformera cette expérience pour créer avec ses propres souvenirs la matière de demain » (p 105).
Depuis son dernier livre, il s’est marié, et a reçu comme cadeau Constantin, son jeune enfant. Il leur dédie ce livre, et nous confie à tous l’essentiel sur les pas de l’Orient d’Alep à Jérusalem, de Nicosie au Liban, de Tur Abdin à la Corne d’Afrique. Il nous renvoie à notre quotidien pour y trouver les fondements de ce que nous sommes, et que nous partageons… la quête de l’essentiel.