La passerelle du temps
Maha Baaklini Laurens
Recension du P. Patrice Sabater Pardo cm
La passerelle du temps
Maha Baaklini Laurens
L’oriental en général, et le libanais en particulier, dès les premiers instants d’une rencontre, cherche à savoir comment s’appelle son interlocuteur et d’où il vient. Le prénom peut dire bien souvent quelque chose de son appartenance confessionnelle. Le nom également situe le plus souvent la personne dans son environnement religieux, culturel et géographique. « Min maï ? ». Tel est du Chouf ou du Koura, et tel autre est de la Bekaa ou du Akkar... C’est seulement alors, après les premiers échanges d’accueil et d’hospitalité, que peut s’engager la poursuite de la relation..., ou non ! L’appartenance à un lieu, à une histoire, à un clan, et à une religion définit la personne dans l’épaisseur de ce qu’elle est. Ainsi en est-il pour le village de Bzebdine dans le Metn. Comme beaucoup de villages libanais, les habitants sont de différentes confessions. Ici, cette petite bourgade se départage entre Chrétiens et Druzes. Le curé qui règne sans partage depuis de nombreuses années est marié, et père d’une multitude d’enfants tel le Patriarche Abraham. Il est « notre père », l’Abouna pour ces fils chrétiens et... aussi dans une certaine mesure pour les autres. L’homme de Dieu veille sur le village... Maha Baaklini Laurens nous fait entrer avec douceur et volupté au cœur de ce village et, ce faisant, nous entrons à la fois dans l’âme libanaise qui se déploie simplement dans chaque petit coin du Liban. Tout est dit, ici, avec humour et sincérité. Rien ne paraît troubler la quiétude de ce village et, quand bien même cela arrive, le lecteur est finalement conduit à partager le bon cœur et le cœur bon de ces personnes qui se querellent, s’interpellent, se menacent, s’invectivent à satiété... mais qui aiment rire d’eux-mêmes comme cette pauvre « kamikaze » qui, tout compte fait, réunit dans un rire malicieux les villageois de Bzebdine. Il y a de la passion dans les rapports, de la vie, de l’ardeur, du désir d’être vrai malgré les petits côtés de chacun. On ne refuse pas de consulter son voisin, à s’entraider entre Druzes et Chrétiens, à impliquer tout le village pour la venue de la Sainte Vierge et du futur saint Pape Jean XXIII. On entre peu à peu dans les entrailles de la vie de ce bourg au travers des joies et des peines, des fiançailles et des condoléances...
Le lecteur, jusqu’alors paisible et tranquillement installé sur son fauteuil, est piqué par les événements qui accompagnent le village dans ses doutes et dans ses peurs. Tout ce qui semblait dire quelque chose de la communion des cœurs et de la convivialité montagnarde semble s’effacer au fil du temps. Des vacanciers sont bloqués dans le village... On évacue au sud. On se réfugie, comme toujours, dans la Montagne. Pourquoi ? Que se passe-t-il ? Est-ce grave ? La guerre du Liban vient de commencer mais personne ne le sait, ne le pense...ne le croit... ne veut le croire !!! Chou fi mafi ? Ma fi shi !!! (Qu’y a-t-il de nouveau ? Non, absolument rien de nouveau !!!) On se soutient contre tout et contre tous. On fera, une fois encore, bloc mais un simple jeu de cartes, un de ces soirs paisibles dans les contreforts de la Montagne libanaise, change les règles du jeu. Il semblerait que chacun des protagonistes se serait armé en cachette. On ne s’arme jamais pour rien ! Ces armes serviront-elles ? Détruiront-elles cette complicité villageoise ? Ya kharam ! La bonne humeur et l’envie de vivre ensemble seront-elles assez fortes pour écrire un lendemain... ensemble ?
Maha Baaklini Laurens, pour son premier roman, nous prend par la main tout simplement. Elle nous fait toucher du doigt ce désir fou du vivre ensemble tellement menacé au Pays du Cèdre par des années de difficultés économiques, politiques intérieures, par les incidences extérieures... Dernier pays que le Pape Benoît XVI a visité, et où il a remis une feuille de route à l‘Eglise et à chaque Libanais. Hospitalité, « vivre ensemble », arabité partagée et sentiment culturel commun sont les ingrédients de l’harmonie des cœurs pour vivre dans le respect et l’espérance.
Cet ouvrage est un livre nécessaire pour des temps troublés. Il est, à consonance de son titre, une « passerelle du Temps »..., ce temps qui passe et nous conduit sur les chemins de l’espérance et de la vie. L’autre ne m’aura été jamais autant nécessaire. Il est toujours pour moi..., pour nous, un événement !!!
Père Patrice Sabater Pardo, cm
Le 12 juillet 2015
Maha Baaklini Laurens, La passerelle du temps
Editions Le Cerf, Paris mai 2015
Collection Fiction
368 pages
Prix : 18,00€
ISBN 978-2-204-10425-8