DOMUNI UNIVERSITAS

La vie sous les bombardements

25 mars 2025 | resena
La vie sous les bombardements

Auteur: Patrice Sabater

Ibrahim KASHAN, La vie sous les bombardements. Ed. Le temps qu’il fait. Paris 2024. 110 pages. 16 €.

« Et, ensuite ? »

La guerre est là dans son horreur absolue touchant la population civile. « La guerre a éclaté. La fumée monte de partout. Les routes sont fermées. Les gens meurent, les jeunes comme les adultes, les femmes comme les enfants. Fouad refuse de partir… » (p 63) 

Ibrahim Kashan est issu d’une famille de Bédouins palestiniens. Il fait partie d’une minorité arabe parmi tant d’autres minorités dans ce pays. Palestinien et bédouin… Il C’est un militant pour la Paix depuis de nombreuses années. Il a été responsable à Gaza de l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). Nous connaissons les critiques adressées à cette organisation onusienne depuis le 7 octobre 2023 portant à la fois le discrédit et l’interdiction d’opérer selon les lois internationales en vigueur. Il préside l’Association pour le développement humain dans le petit village d’Al-Qarara au sud de Gaza. Militant et combattant pour la Paix et la Justice en Palestine Ibrahim regarde ce qu’est devenu ce bout de terre qui n’a plus de visage ni de tissu urbain digne de ce nom. Rien ne correspond plus à rien…

La lettre sous la plume de l’écrivain donne à l’horreur une réalité racontée régulièrement sous forme de chroniques pour rapporter ce qui se passe au jour le jour à Gaza. « Sans doute Ibrahim Kashan sait-il qu’il incombe aux écrivains cde rédiger l’histoire qui manque cruellement à son pays ; sans doute pense-t-il (…) que « la littérature est la seule histoire possible de la Palestine ». On peut se réjouir qu’ainsi c’est une histoire moins officielle, plus diverse et complexe, qui se constituera ». (p 11)  A chaque conflit des hommes et des femmes ont su à travers leur art et leur courage rapporter l’indicible et l’espérance. Ce fut le cas pour l’Espagne, le Liban, la Syrie, l’Irak, et pour tant d’autres pays). L’Editeur a demandé à un autre poète palestinien de mettre en perspective les écrits d’Ibrahim. Il s’agit de Ziad Medoukh.

Chaque chronique est une relation et une fenêtre pleine de pudeur et de simplicité nous donnant des indices de la vie courante et des émotions intérieures. C’est vrai pour Saber qui nous parle de ses moutons : « Qui mourra en premier, mou ou mes moutons ? Peut-être que nous survivrons, et que la vie sera longue pour eux et pour moi. Alors, je les mènerai paître et je chanterai les chants de la vie des matins de ma jeunesse ». (p 19)

Comme beaucoup d’autres à Gaza, en Palestine, en Syrie ou en Irak, l’auteur a échappé de justesse aux balles et aux bombardements israéliens. Si hier encore, l’horizon était contraint et limité par un Mur ou des barbelés, la situation d’aujourd’hui est devenu insupportable et invivable pour la population gazaouie. « Chaque seconde de sa vie est un don du ciel qu’il consacre à sa famille ou à son peuple » dans le dénuement, et dans l’attente qu’une colombe revienne comme au Temps du Déluge noachique avec un brin d’olivier de cette terre qui fut aussi la leur jadis. Il n’y a après cette nouvelle catastrophe, qui a touché les deux belligérants, que morts, que blessés, malades, infirmes, enfants et population affamés. Il n’y a plus que désolation et désespérance dans cette longue attente qui est aussi une longue marche intérieure où il n’y a plus d’autres frontières à traverser dans sa propre vie, et dans celle de tout un peuple, que l’horizon de la liberté de la justice, du Droit international affirmant l’absolue nécessité de donner à ce peuple apatride sur sa propre terre des droits et des devoirs semblables à ceux de leur adversaire. L’égalité entre les personnes, la reconnaissance d’une citoyenneté, le droit à circuler et à voyager, le droit d’avoir des papiers administratifs reconnus par la communauté internationale. 

La couverture du livre « La vie sous les bombardements » résume ce qu’il reste à Gaza et dans les cœurs : un enfant vêtu d’un pull rouge au milieu des ruines. Cette photo nous rappelle les ruines de Yarmouk, d’Alep, de Daraya…, de Beyrouth où il ne restait plus grand-chose de ce que fut la vie de ces hommes et de ces femmes qui étaient parqués dans cette zone devenue avec le temps le plus grand centre de rétention au monde. Une autre image vient s’entrechoquer, et qui est elle aussi parlante et en conversation avec ce cliché d’aujourd’hui. Cette celle d’Oliwia Dabrowska, l'actrice polonaise qui incarnait à 3 ans l'inoubliable petite fille en rouge dans "La liste de Schindler" de Steven Spielberg, qui avance parmi les prisonniers du Ghetto de Cracovie sous les yeux médusés et attendris de Schindler. Cette petite fille à l’air hagard semble isolée revêtue de la couleur du sang et du martyre : manteau en couleur dans un monde en noir.

L’écriture et la poésie peuvent être empruntes de douceur et de légèreté mais aussi de colère devant la vérité crue. C’est vrai qu’il y a de l’espoir et de la résilience chez le peuple gazaoui, mais il y a surtout une question qui remontent après presque une centaine d’années d’attente. Ils ont faim. Ils ont soif. Ils sont malades ou blessés et sans espoir immédiat. Dans tous les conflits c’est la population qui « trinque » la première sous les cups de la vengeance et de la dite Loi du Talion. Qui se préoccupe de cette population ? « Abou Nader, en colère, se lève et crie : « Ca suffit à la fin ! » Puis il met ses mains derrière son dos et se glisse sous sa tente ». (p 97)

Mais à travers ces pages nous regardons des scènes touchantes qui se lisent et qui se voient grâce aux mots de l’auteur de ces chroniques. C’est, par exemple, ce qu’il rapporte au sujet du Dr. Hamed. « Hamed parle peu. Il ne parle que lorsque cela est nécessaire. Il évite les discussions. Il ne déteste pas les gens, mais est plutôt solitaire, un peu misanthrope (…) Lors du dernier conflit la maison voisine a été bombardée, endommageant sa propre maison et la rendent inutilisable. Le médecin, bouleversé, a pleuré jusqu’à l’épuisement. Sa vieille mère l’a pris dans ses bras et ils ont pleuré ensemble ». (pp 34-35)

Ce petit livre ne prend pas partie. Il n’est pas un livre de géopolitique. Ce n’est pas un récit de guerre. C’est simplement ce que l’un être humain a voulu raconté pour ne pas sombrer, pour donner une histoire de ce conflit et de ces conséquences quotidiennes au sein d’un peuple qui attend qu’une solution soit trouvée en dehors de ceux qui l’ont conduit au bord de de l’abîme. Et, ce sont encore les enfants qui ont le dernier mot comme ce petit garçon en couverture de ce livre… « Les enfants rient et créent de nouveaux rêves ». (p 109) Puissent leurs rêves et ceux des poètes devenir réalité… A lire !