L'amitié
Mgr Jean-Paul VESCO, op
Père Patrice Sabater, cm
Jésus a décompliqué les rapports de dépendance et de servitude, à la différence de l’Homme qui instruit, sépare, quantifie, véhicule des sentiments contraires. Jésus offre autre chose. Les Evangiles témoignent de cette valeur qu’Il place au-dessus de tout dans nos relations les plus concrètes et les plus immédiates. L’évêque dominicain du diocèse d’Oran nous rappelle que cette valeur (d’autres l’appelleront « vertu ») se conjugue avec des sentiments de familiarité (être « famille » ou dans un rapport « familier » comme le proposait saint Philippe Neri), de confiance et de grande fraternité au sens fort et premier du terme. L’Autre est un « Frère » pour moi. Cette valeur est universelle et transversale. Elle est le « testament spirituel du Christ » dit-il.
L’amitié se sent. Elle se perçoit. Elle se devine. On sait que tel est ami de l’Autre par de nombreux petits détails au cœur de la vie de celui que je côtoie suffisamment au jour le jour pour en témoigner. Elle ne se dit pas. Elle se vit simplement, naturellement… « Deux amis se reconnaissent quelque chose en commun… Elle est question de reconnaissance car le regard de l’ami est le miroir où je peux me reconnaître tel que je suis, avec aussi mes manques, mes fragilités, mes petites et mes grandes lâchetés, parce que ce regard de l’ami m’emmène plus haut et plus loin que ma misère… » (pp 24-25,27)
Au cœur de l’Eucharistie qu’il célèbre ordinairement, l’évêque d’Oran trouve ce repos dont Jésus parle dans l’Evangile : « Venez à moi. Je vous procurerai le repos ». Au cœur de l’Eucharistie, il n’y a plus de faux-fuyant, de fuite, des peurs d’être jugé ou évalué. Il est là l’ami qui attend, l’ami qui se donne. Le regard de l’ami se nourrit de cette bienveillance qu’il retrouve dans le geste du Christ et dans la messe quotidienne. Le regard que Jésus porte sur Zachée (pp 30-31) est un sentiment qui fait grandir, qui rend une dignité et qui permet de se voir tels que nous sommes en vérité, malgré nos failles et nos misères. « Moi je ne juge personne », dira le Christ. Mgr VESCO affirme que, selon lui, « on ne peut pas annoncer l’Evangile sans nouer un lien d’amitié ». (p 18) « Dans l’amitié, notamment avec Xavier, je trouvais le repos. Non pas un repos facile qui permet de s’endormir sur ces acquis ; toute relation humaine est infiniment fragile et notre amitié n’a pas exception. Mais un repos au sens où l’on peut se poser, se reposer, dans cette relation sans crainte d’être jugé… Plus profondément, l’expérience ultime de l’eucharistie comme lieu de repos, je l’ai faite lorsque Xavier, celui par lequel l’amitié était rentrée dans ma vie, est mort subitement, au lendemain de son retour d’Algérie où il était venu me visiter ». (pp 14 et 16)
La raison même du livre de Mgr Jean-Paul VESCO est d’affirmer que l’amitié « est une expérience essentielle et fondamentale. Elle est aussi une expérience de relation avec le Tout Autre ». Voici justement la seconde proposition de l’auteur : il ne présente pas seulement un nouveau Traité sur l’Amitié comme nous en connaissons de très fameux écrits au fil de l’Histoire, il ouvre aussi cette vertu à une dimension très concrète au cœur de son expérience d’homme, de prêtre et d’évêque. « L’amitié est contagieuse, (elle) se propage et se partage », elle se donne dans un sentiment entre personnes qui se choisissent et entre celles qui se sentent appelées à vivre cet élan unique et nécessaire.
La deuxième grande partie de ce livre est donc consacrée au dialogue interreligieux, à la vie entre personnes de religions différentes qui essayent de vivre au quotidien là où il vit aujourd’hui comme évêque d’Oran : l’Algérie. « La fine pointe, c’est cette connivence spirituelle avec certains et cette envie retrouvée, à l’âge de la maturité, de se donner les moyens de faire du bien ensemble et de changer le monde. Cette expérience de l’amitié en acte, sans pourquoi, est semence d’évangile ici et ailleurs ». (p 102) Cet amour de préférence va jusqu’au don de soi même comme il le notera chez le Bienheureux Charles de Foucauld, chez les moines martyrs de Tibhirine qui ont donné leurs vies (Jn 15, 12-14) et chez son Frère dominicain et prédécesseur sur le Siège d’Oran; Mgr Pierre Claverie, op. Etre simplement là « pour faire bouger les lignes » en lien avec le chrétien, le juif et le musulman. Etre simplement là où Dieu nous a plantés… Une amitié toujours à inventer, à reprendre… au gré des infractions et des accrocs que nous lui faisons. Belle postface qui demande pardon de la bouche de cet homme écrivant ici une des plus belles pages de cette année 2017 qui a été chargée de tant de violences. Il « nous appelle amis » (Jn 15) à l’exemple du Christ pour que nous soyons en capacité de rencontrer l’Autre, de devenir peut-être son ami afin que le monde change un peu…
P. Patrice Sabater, cm
6 décembre 2017
Mgr Jean-Paul VESCO, op. L’amitié. Ed. Bayard. Coll. « J’y crois ». Paris mai 2017. 14,90 €.