Le Liban - Une terre de convivialité fraternelle et d’accueil malgré les conflits et sa fragilité endémique
Auteur: Patrice Sabater
Laure DELACLOCHE, « Comprendre les Libanais. Guide de voyage interculturel ». Ed. Riveneuve. Paris, Sept. 2023. 231 pages. 18,50 €
Le Liban ou le miracle permanent
L’urgence, l’intérêt médiatique autour d’un sujet brûlant mettent à distance des faits qui font l’Histoire. L’actualité et les évènements sont séquentiels, et le suivi des drames, des conflits ou de l’évolution d’un pays passent souvent aux oubliettes. Que sait-on, par exemple, des chrétiens d’Orient ? Comment alors comprendre ce que l’on croit savoir d’un pays, d’un peuple, de sa culture, de sa destinée ? Les Editions Riveneuve, dans une collection riche et novatrice nous invite dans son approche à susciter l’intérêt autour d’un pays et de son peuple. Elle se propose d’entrer dans l’intime, dans l’existentiel, dans la résilience, dans les bonheurs et les espoirs d’un pays. Il s’agit aussi bien du pays dans ses frontières terrestres mais aussi de sa diaspora.
Apprendre à regarder, à écouter, à rire, à s’émouvoir… Comprendre pour mieux saisir l’insaisissable, ce qui nous échappe et nous rattrape si souvent. Déplacer l’angle de la caméra pour favoriser la rencontre et le croisement d’expériences. C’est ce que Laure DELACLOCHE a réussi à faire avec son livre « Comprendre les Libanais » qui ressemble parfaitement un guide de voyage interculturel simple et passionnant pour comprendre la complexité de ce pays et des Libanais que nous pensons connaître… Mais les connaissons-nous vraiment ? Au-delà des clichés et des stéréotypes y-a-t-il un Libanais ou une région du « Pays du Cèdre » qui ressemblent à un autre ?
L’auteur nous avertit en invitant dans son Prologue à aller plus loin que ce qui nous semble être un acquis. « Rien n’est neutre, dit-elle. « Fixer une image » c’est prendre le risque d’essentialiser les Libanais, de les figer alors que le pays est déjà décrit de façon tellement terrible, toujours sous l’angle des conflits et de l’instabilité. C’est pourquoi j’invite le lecteur, à chaque page, à se poser la question suivante : cette généralité que je lis, cette structure qui est décrite, comment s’en arrangent les Libanais autour de moi ? (…) Rien n’est neutre, surtout pas un regard d’Européen, et encore moins le regard d’un ou d’une Française au Liban. Se défaire de nos biais demande du temps, d’être ouvert à la critique, et de considérer les Libanais d’égal à égal ». (p 8)
On dit au Proche-Orient que Dieu vomit les tièdes. Serait-ce l’image que l’on se fait de Dieu ? A la différence de l’Europe, et sans doute est-ce vrai pour certains pays en particulier la Personne fait partie d’une communauté, d’une culture, d’un village, d’une tradition. Elle est insérée dans un contexte qui la rend à la fois tributaire et solidaire, fraternel et parfois incisive ou violent. On ne vient pas de nulle part. On est chrétien ou musulman, druze, athée et le rapport au sacré et à la religion sont marqués également par de subdivisions entre sunnites, chiites, alaouites, soufis, druzes pour le monde musulman. On est maronite, melkite, latin, syriaque catholique, grec orthodoxe, chaldéen… Un fort communautarisme imprègne la société libanaise entrainant avec elle des inégalités sociales, des paralysies, et des hostilités. Le cœur du Libanais est religieux et son cœur est tourné vers la poésie de Khalil Gibran, les chants de Wadi el Safi, de la musique de Marcel Khalifé, de l’écriture de Amin Maalouf ou d’Alexandre Ajjar… La religion, elle, tient une place de choix ainsi que l’École, la Culture, l’hospitalité et les traditions ancestrales.
Même si les divisions du pays, les guerres, les violences intercommunautaires, les griefs et l’esprit chagrin de revanche existent au quotidien, il y a malgré tout une sorte de fierté de se rassembler sous le drapeau du Liban, d’être Libanais. Ce dernier est fier et se situe « ailleurs ». Il n’est ni ça et ni cela. Il est ça. Ou bien il est ça, ça encore et cela aussi. Il est bâti intérieurement comme son pays qui a été traversé par de nombreuses cultures et de nombreuses langues. Grande question à poser à un Libanais. Est-il Arabe ? fait-il parti de la Nation arabe ? Les uns diront que oui tandis que d’autres diront qu’ils sont les descendants des Phéniciens. Il y a sans doute chez beaucoup un esprit particulier à vouloir se démarquer à tout prix au point de dire ou de faire comprendre qu’il n’y a pas mieux au Proche-Orient qu’un Libanais, et qu’ils sont autre chose encore ! Quand on est d’origine arménienne et que l’on habite Bourj Hamoud est-on vraiment Libanais ?
L’auteur, à partir des travaux nombreux de Georges CORM replace le Liban dans l’Histoire, dans ses choix parfois hasardeux « en souhaitant » entrer dans le projet de la Grande Syrie sous le Mandat français, et jusqu’au Pacte d’indépendance nationale de 1943, la guerre civile de 1975 et celle de 1990, les Accords de Taëf… La Guerre de 1975 reste un marqueur indépassable, et les communautés en sont encore très marquées. On n’est pas du Liban mais d’une région, d’une ville, d’un quartier de Beyrouth (Achrafieh, Hamra, Karm el Zeitoun, Bourj Hamoud...) du Chouf ou de la Bekaa, du Akkar ou de la Qaddisha, de Ckekka… Le lieu détermine à la fois une histoire, une culture, une appartenance, une langue ; parfois aussi un caractère bien trempé comme à Zgharta (Nord Liban) où les habitants sont réputés être des personnalités bien trempées au caractère fort.
Le Liban ne cesse de nous surprendre. A chaque fois qu’on l’imagine au bord du précipite il ressuscite. Il renaît de ses cendres. De rien, il crée un « miracle permanent » dont les Libanais s’étonnent eux-mêmes ! On tire à proximité, l’économie est dégradée mais l’espérance et le moteur intérieur libanais fonctionne toujours. On trouve des jeunes attablés fumant le narguilé… On fait « avec » et on fait « comme si… ». La grande question est de se tenir au courant de trois choses fondamentales du quotidien : l’actualité dans le pays et sur le risque de guerre imminente, savoir s’il y a de l’électricité (qui affecte surtout ceux qui n’ont pas de générateurs), et si quelque chose a changé véritablement. Quelles sont les nouvelles ?!?
Dans ce pays multiple où l’Arabe est la langue transculturelle et confessionnelle, la famille joue un rôle important. Cela est vrai dans l‘organisation quotidienne mais régit aussi les degrés de présence et d’autorité dans la famille, au niveau de la Loi, et de la religion. S’il est plus facile de vivre au Nord de Beyrouth et dans le Centre, la périphérie Sud et certains quartiers proches de l’aéroport sont davantage sous tension en raison de la présence prégnante du Hezbollah.
Ce livre-guide est aussi une encyclopédie ouverte et parfois amusante de « l’être libanais » dans ses habitudes, dans ses expressions idiomatiques et populaires. Les proverbes et les postures nous font sourire un peu comme les personnages que nous retrouvons dans les films de Nadine Labaki ou quelques shows ou séries libanaises mettant en scène des attitudes bien locales. Cette langue libanaise, utilise tantôt le Français et tantôt l’Anglais, et souvent dans la même phrase. Unique au Proche-Orient, et qui lui donne un charme incomparable. « Hello ! Kifak ? bien ?!? ». Se saluer, demander des nouvelles de la famille, répondre à des codes de politesse, répéter les mêmes questions ou dire plusieurs fois durant un repas ou le thé que l’on est bien reçu chez soi est de coutume partout au Liban. Refuser ce que l’on nous sert de grand cœur ne se fait pas…
Et, enfin, comment ne pas parler de celle qui incarne à elle seule l’Amour, la tristesse, l’espérance, l’amour infini pour son pays et pour Beyrouth. Nouvelle muse, « nouvelle Oulm Kalthoum » aimée et adorée par tous les Libanais, l’ensemble des pays arabes du Proche-Orient et jusqu’au Maghreb : Fairouz !!! Elle semble éternelle comme le Liban. Elle catalyse en elle-même tout ce que le Liban est, et souhaite au fond de son cœur rester et devenir.
Plusieurs portes d’entrée nous sont proposées dans ce livre si vrai pour continuer à connaître et à soutenir le Liban et ceux qui vivent. L’auteur ne nous entraîne pas dans un pays fantasmé ni dans des écueils ou des impasses dépassées ou mal posés. Le Liban aujourd’hui malheureusement subit la guerre, les déplacements et tout ce qui accompagne la violence. Il n’avait vraiment pas besoin de ça car toujours sans Président, sans Gouvernement et sans que sa situation économique et sociale soient stables. Laure DELACLOCHE nous ouvre la porte du cœur des Libanais, et nous invite à pousser la porte. Ahlan w Sahlan ! À lire.