L’Eglise dans la tourmente de 1968
Auteur: Yves CHIRON
Yves CHIRON
Père Patrice Sabater, cm
L’engagement des chrétiens dans la Cité ne date pas d’hier. Ce dernier constitue un des thèmes centraux de la Doctrine Sociale de l’Église… Néanmoins, on constate que les chrétiens ont quasiment abandonné le terrain politique, préférant la sphère privée à l’action visible, immédiate ou bien à plus long terme. Pour autant, le désir de changer le monde, de mettre Jésus-Christ au cœur de nos réalités pour que le « Royaume de Dieu soit instauré » reste intact. L’engagement politique du chrétien est une résultante, une suite logique de son être au monde. Les problématiques des Temps modernes traversent l’Eglise.
En 1968, le monde en mutation après les bouleversements de deux siècles mouvementés frappe violemment à la porte de l’Institution, et pénètre « les sanctuaires ». Yves CHIRON retrace ces événements dans un livre qui s’inscrit en cette année anniversaire de 1968 : L’Eglise dans la tourmente de 1968, publié aux Editions Artège.
L’Histoire de la pensée et des mouvements sociaux n’est assurément pas toujours linéaire. La crise vient de loin. Peut-être faut-il remonter déjà aux années post-Révolution française et, en tous cas, plus proche de nous aux années d’après-guerre. La séquence est longue, discrète mais continue à la fois. La Révolution industrielle et les mouvements politiques et sociaux du 19ème siècle font monter de nouvelles postures, de nouvelles revendications, une volonté de se faire entendre : refus de la hiérarchisation de la société et de l’autorité, refus des inégalités, fascination pour les idées socialistes et marxistes, attraction du communisme comme idéologie naissante et progressiste. Nombre de fidèles catholiques prendront part à cette « révolution culturelle » qui touchera la France, l’Europe ; et qui aura également des répercussions dans le monde entier jusqu’en Amérique latine. La Révolution de 1968 s’importe. L’internationalisation de la revendication qui ébranle les sociétés de l’après-guerre se répand dans toutes les couches sociales ; et principalement chez les jeunes étudiants, les jeunes ouvriers, puis dans l’ensemble des classes sociales. Des personnalités telles que Jacques Loew et Madeleine Delbrêl font rentrer l’Eglise dans le dialogue.
Les idées de cette génération révolutionnaire pénètreront au sein même de l’Institution ecclésiale en mobilisant également des clercs, des religieux, des séminaristes... Une question se pose : comment rester à la marge quand le monde gronde et que l’on peut instaurer (enfin) le « Royaume des Cieux » ? Autant qu’on puisse le dire, et c’est ce que l’auteur affirme : « Mai 68 n’a pas donné lieu à des manifestations d’anticléricalisme ou d’hostilité au christianisme comme en ont provoqué de façon sanglante la Révolution de 1789 ou la Commune de Paris en 1871 ». Selon lui, « c’est de l’intérieur, que des chrétiens, des prêtres, des théologiens ont porté la contestation de leur Église ».
On adhère aux principes révolutionnaires pour changer une société bourgeoise en faillite. On s’engage activement dans des aumôneries et on fait entrer ce mouvement contestataire dans des couvents et communautés religieuses. On remet en cause le fonctionnement intra-ecclésial et des pans entiers de la Doctrine enseignée par l’Eglise catholique. N’oublions pas que nous sommes dans les années conciliaires, et un vent nouveau avec Vatican II souffle dans l’Eglise universelle ! Au milieu du tumulte une voix assurée se fait entendre. C’est le Cardinal-archevêque de Paris, Mgr François MARTY qui s’écrie : « Dieu n’est pas conservateur !!! »
Au cours de la période, la Théologie de la libération en gestation dans les années précédant 1968 fait son apparition. Elle se nourrit des pensées de Jacques Maritain, d’Emmanuel Mounier, du Père Lebret, op… Au même moment, le nouveau Pape Paul VI signe une Encyclique qui fera des remous dans le monde et dans l’Eglise : Humanæ vitæ… Une distanciation se fait jour. Elle aura des répercussions dans les années 1970, et ce jusqu’à nos jours. L’irruption révolutionnaire entrainera des ondes de choc profondes et durables. On peut noter, par exemple pour ce qui est de l’Eglise, le « Manifeste des 744 », la Déclaration pour la liberté des théologiens, l’Appel de Montpellier, l’Affaire Hans Küng, l’Affaire Eugen Drewermann, la mise à l’Index de théologiens (dont, le futur Cardinal Yves Congar, op), les propos incisifs du dominicain Jean Cardonnel… En contre-point, l’aumônier du Centre Richelieu d’alors, le Père Jean-Marie Lustiger – futur Cardinal-archevêque de Paris - estimera qu’« il n'y a pas de place pour l'Évangile dans cette foire ». Les années Jean-Paul II remettront de « l’ordre » dans cet apparent désordre…
Le livre d’Yves CHIRON est une synthèse retraçant les grandes lignes de ce « printemps révolutionnaire français » aux répercussions internationales. L’auteur ouvre une fenêtre sur ce qui se passe au même moment dans le monde, en mettant en exergue les éléments qui ont contribué à ce mouvement social, culturel et politique. Dans cet ouvrage, on aborde l’Histoire événementielle, et on y traite également des formes de l’engagement des catholiques au sein de cette contestation. Les Années pompidoliennes laissent place à une nouvelle forme de pensée, de présence au cœur du monde, de la société et de l’Eglise. Si l’Encyclique du Pape Montini est contestée, d’autres textes, comme Evangilii Nuntiandi continuent à ouvrir l’Eglise dans son rapport au monde réel. Aujourd’hui, le pontificat du Pape François réinvestit, en quelque sorte, certaines idées du Paris insurrectionnel et des grandes intuitions de cette époque.
Yves CHIRON, en cette année de canonisation de Paul VI et de Mgr Oscar Romero nous offre un livre limpide qui vient éclairer les soubassements et les suites de « la tourmente de 1968 ».
Patrice SABATER
Novembre 2018
Yves Chiron, L’Eglise dans la tourmente de 1968. Editions Artège. Paris, Avril 2018. 272 pages. 17,00 €