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Les espaces sont fragiles « Regarde mon corps, c’est comme la Palestine ! »

14 janvier 2025 | resena
Les espaces sont fragiles « Regarde mon corps, c’est comme la Palestine ! »

Auteur: Patrice Sabater

Stéphanie DUJOLS, Les espaces sont fragiles. Carnet de Cisjordanie, Palestine 1998-2019. Ed. Actes SUD. Mai 2024. 109 pages. (15 €)

Un petit bouquin pour un petit bout de terre. Une terre doublement convoitée.

Un livre qui vient à la vie, qui remonte des souvenirs à la fois enfouis et profonds. Le texte émerge d’une longue gestation et d’une nécessité qui devient vitale pour dire ce que les yeux ont vu et ce que la mémoire a gardé en mémoire… d’un quotidien palestinien en rupture et en souffrance. « Cisjordanie : une portion de terre oblongue où les collines ondulent comme des tresses épaisses et un peu déliées de petites villageoises… Moutonnement obsédant des rondeurs du relief. Chaque printemps, elles sont constellées de points rouges : on croirait que le sang des morts remonte à la surface de la terre. Ce sont les anémones sauvages qui éclatent, toutes de la même couleur » (p 11, 13). 

C’est le propos d’un Carnet de notes, de chroniques que nous donne à découvrir Stéphanie DUJOLS. Traductrice d’écrivains de langue arabe depuis de très nombreuses années. Femme de terrain, interprète auprès d’organisations humanitaires internationales (Croix Rouge internationale, Médecins du Monde). Ce travail sur un long temps, et parfois entrecoupé au rythme des missions lui ont permis de vivre au plus près de situations limites, d’hôpitaux, de journalistes, de simples gens, d’enfants, de médecins…Elle évoque cette époque dans un petit ouvrage de 107 pages à peine écrites de façon un peu aléatoire, mais en même temps chronologiques.

Le temps s’étire et met en scène des éléments du passé qui expliquent l’aujourd’hui d’une situation inextricable faite de barrages, d’interdits, de violences, d’atteinte aux droits fondamentaux, de l’arbitraire quand on pourrait envisager le mieux… ou le meilleur pour les deux parties. Les souvenirs sont lourds à porter et leur anamnèse est pesante, destructrice, résiliente et incertaine au cœur de ces paysages où survivent des « petits hameaux invisibles (où) la rectitude et l’uniformité des lignes s’imposent et accentuent l’effet de solitude. » (p 9)

Dans ce petit livre de souvenirs fragmentaires du début des Années 2000, les enfants occupent une place importante. Ils sont l’espoir du Peuple palestinien, la sève qui monte ; et qui brusquement peut céder laissant place au néant, à la douleur et à l’amertume. Ces enfants sont la cible des snipers ou des soldats de Tsahal qui sont souvent fracassés ou mutilés suite aux bombardements. L’espérance dans le cœur n’accompagne plus depuis longtemps la candeur de ces enfants. La lumière des yeux s’étiole peu à peu ne laissant plus qu’un cri sourd. Les ânes passent, les gazelles surgissent et gambadent allègrement. Le Beau côtoie l’ignoble sur ces terres à couper le souffle pétri par nombre de civilisations et de cultures. Un mariage improbable entre la période romaine biblique et ottomane pour ne citer qu’elles… La mémoire de cette femme de terrain laisse échapper tantôt la poésie et tantôt la lumière des jours sans fins et des nuits étoilées. Elle se fait conversation au cœur des vergers martyrs, à Naplouse, à Ramallah ou à Jérusalem.

Ce livre nous touche aujourd’hui bien qu’il relate des faits passés, et l’extraordinaire est qu’entre ces deux périodes de l’histoire de la Cisjordanie rien n’a véritablement changé si ce n’est le nombres de colonies d’implantations et de colons toujours aussi prompts à pousser les Palestiniens dans leurs derniers retranchements. L’inhumanité de l’occupation est présente de bout en bout de ces pages créant un silence qui crie au monde l’injustice de vies perdues, du droit à disposer de sa terre, de ses biens, de sa maison, de son présent et à rêver son avenir ; à moins qu’il n’y en n’ait pas ou bientôt plus !!! Comment s’en étonner dans ces conditions ? Les sites antiques et bibliques sont témoins de cette des longues queues matinales de ces hommes et de ces femmes qui tentent de passer les murs et les checkpoints pour aller travailler en Israël, des colonnes de chars ou de jeeps, des interdictions administratives, des expulsions…, et pourtant « le manteau d’étoiles » est toujours là pour rendre de la beauté aux choses volées qui attendent une résurrection et un retour sur la Terre où Abraham s’est arrêté.

Aux souvenirs de Stéphanie DUJOLS on pourrait apporter un bémol pour dire que les victimes ne sont pas que d’un côté, et que le côté israélien souffre de cette situation de guerre, des violences et de la barbarie du 7 octobre 2023. Cela est vrai. Qui pourrait le nier ? Cependant, ce n’est pas une date dans l’Histoire qui ne saurait faire date, mais un continuum et une conjoncture structurée depuis longtemps pour ne pas reconnaître la nécessité de donner une terre et un État à un peuple qui la réclame au nom du Droit et de la justice. Cette histoire s’écrit depuis plus longtemps ; et faut-il encore se rappeler de la cruauté des exactions de Deir Yassin et de celle que nous voyons tous les jours se vivre à Gaza ?!?

« Tout pousse » dans ce pays le meilleur et le beau, la fraternité et l’ostracisme, la générosité et la non-reconnaissance, les forces de paix et les forces belliqueuses…

Les « espaces (restent) fragiles », et l’espérance n’est pas morte. La Vie est toujours plus forte que la mort. Le sourire d’un enfant annonce toujours dans cette « vallée d’herbe d’or » une résurrection à venir où « les herbes blondes » accueilleront l’espérance de deux peuples qui sauront ouvrir des horizons pour la joie du plus grand nombre.