Les souliers vernis rouges
Stella VRETOU
Père Patrice Sabater, cm
Une photo qui parle davantage à l’imaginaire que le titre du roman que nous propose Stella VRETOU, née à Istanbul.
Nous sommes à Constantinople. Mais cela est déjà trop dire parce qu’au détour d’un chemin, le lecteur se trouvera à Byzance, et au coin d’une autre rue dans cette grande métropole que nous appelons de nos jours Istanbul. La ville aux Trois Noms ! Quelle autre ville dans le monde porte en ses murs trois noms qui renferment toute son histoire ? Quelle autre capitale-monde est postée à cheval sur deux continents et sur deux espaces riches en culture, en histoire et en civilisation entre Orient et Occident ?
L’auteur nous fait respirer les odeurs du Bosphore, les épices, les saveurs des marchés stambouliotes. Le chant des muezzins… Nous y sommes. C’est bien l’Orient.
Une paire de souliers rouge dans une vitrine d’Athènes suffit à remonter le temps. Stella VRETOU nous plonge dans la saga d’une famille qui, depuis la fin du 19ème siècle, sera en continuel mouvement. Constantinople sera son point d’ancrage. Yagos est le premier à y débarquer. Il s’y installe quelque temps. C’est le temps des grandes transhumances et des espoirs qui jettent sur les routes du monde les aventuriers, les chercheurs d’aventures, les pauvres à la recherche d’un emploi et d’une vie meilleure…, et les premiers réfugiés malmenés de ports en ports. Yagos et sa jeune épouse Evanthoula rêvent aussi.
L’Empire ottoman vit ses dernières heures de gloire au moment où les crises économiques et politiques se succèdent. Le monde est en ébullition. Les empires comment à se défaire les uns après les autres… Un monde est en train de céder, et un autre est en gestation. La Première Guerre mondiale se préparant, le Bassin méditerranéen subit la crise des identités en cette fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Certains souhaiteraient que les Turcs de Grèce reviennent en Turquie, et que les Grecs de Turquie repartent chez eux.
La crise affecte le jeune foyer et leurs enfants. On suit la famille d’Odessa à Athènes, puis de Constantinople à Smyrne (aujourd’hui, Izmir). A Odessa, les deux jeunes cordonniers souhaitent ouvrir un commerce de chaussures. Il sera florissant au début, mais ce rêve n’aura qu’un temps. La vie se déploie au rythme des secrets, des rebondissements, des atermoiements. La famille Xenoupoulos est plongée au cœur de ce monde en mouvement, depuis le départ des deux frères Dionysis et Yagos, de l’île grecque de Zakynthos dans les années 1870.
Le lecteur qui aime le genre « saga » ne sera pas déçu malgré le nombre de pages volumineux, la lecture reste agréable même si, parfois, il y a quelques longueurs ou quelques raccourcis. Le tout est de bonne facture.
Le contexte historique est fort et laisse teinter quelques notes pessimistes. Pour autant, l’auteur pouvait-elle faire l’impasse de la juste réalité dans un contexte hier compliqué ; et qui d’ailleurs ne s’est pas arrangé depuis. Elle nous fait entrer avec plaisir et saveur dans l’ambiance de Constantinople qu’elle connaît bien puisqu’elle est stambouliote.
Un beau roman qui nous donne envie d’aller découvrir les rues d’Istanbul… un des Berceaux de l’humanité et de nos civilisations méditerranéennes. A lire !
Patrice Sabater, cm
Juillet 2018
Stella VRETOU, Les souliers vernis rouges. Editions Les Escales. Paris, Avril 2017. 424 Pages. 21,90 €