Lettre pour les jeunesses arabes
Auteur: Azouz BEGAG et Sébastien BOUSSOIS
« Vous avez dit arabe ? » Une drôle de question qui paraît simplement mal posée. Un mot qui met des jeunes et des moins jeunes à la marge et au seuil d’une société contemporaine qui a eu du mal à gérer les années d’après-guerre et les années postcoloniales. Un mot qui semble presque être, soit une insulte, soit une tare. Et pourtant, il recouvre une réalité incontournable. Pour des milliers de jeunes « être arabe » c’est simplement être différent, être « l’autre » que l’on montre du doigt, qu’on stigmatise et que l’on englobe dans quelque chose qui ne le concerne pas. Enfants de l’immigration maghrébine, souvent de conditions précaires, analphabètes et maîtrisant peu le français ces jeunes ont grandi. Ils sont aujourd’hui la deuxième, la troisième et voire la quatrième génération. Qui ne connaît pas l’épicier… « l’arabe du coin » ? L’épicier campé par Omar Sharif, dans le film adapté du livre d'Éric-Emmanuel Schmitt « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran ». La plupart de ces jeunes ne connaissent que quelques mots en Arabe, et presque rien de leurs traditions.
Dans leur pays d’origine, ils n’ont pas de repères et ce sol leur est étranger. En France, il dénote et on leur fait bien souvent sentir qu’ils ne sont pas de cette terre. Ils n’ont jamais été pleinement acceptés dans la société française. Cela pose la question identitaire. « Ils ne sont plus Maghrébins, pas encore pleinement Français, ne parlent pas la langue arabe et subissent depuis les années 70 le racisme anti-arabe – surtout les Algériens à cause du processus de décolonisation. » (Azouz BEGAG)
Leur seul lieu et leur seul horizon est leur quartier. Le seul lieu de référence où ils se reconnaissent est leur quartier, leur cité, le football, et leurs copains. Pourtant, quand une équipe nationale remporte une victoire dans un stade, on voit surgir des drapeaux algériens, tunisiens ou marocains… qui traduisent la fierté de toute une jeunesse en manque d’identité. Des clichés. Les mêmes clichés qui desservent une jeunesse et qui ne permettent pas « l’intégration ». Le mot est-il juste ? Faut-il vraiment s’intégrer ou bien participer à la vie collective comme les autres habitants de ce pays ? On sent bien que les frontières sont faciles à franchir et que le passage d’un côté ou de l’autre de la sémantique est grand ouvert devant nous… Y-aurait-il un horizon, une espérance, des lieux pour se construire et sortir de l’enferment… sortir de la « ghettoïsation » mortifère. Et tout cela, ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de problèmes !
Azouz BEGAG et Sébastien BOUSSOIS nous conduisent sur des chemins où il est bon parfois de dire souligner les traits les plus saillants pour en dégager une vérité. La lucidité des auteurs nous permet de remettre dans le bon sens notre vie communautaire et collective avec des jeunes qui, il vrai, pourraient franchir la ligne rouge… comme beaucoup d’autres d’ailleurs… On ne peut s’empêcher de penser à des écrits antérieurs sur cette même thématique ou sur un sujet approchant. On pense bien évidement à Samir KASSIR, à Malek CHEBEL ou à Abdelwahab MEDDEB. Il y a des errances qui nous aident à comprendre les lieux de déperdition de sens, et qui nous aident aussi à adopter une autre attitude. Une question de regard en sorte.
Dans ce livre publié par les Editions ERICK BONNIER il n’y a pas une page de trop. Chaque mot compte, et chaque développement marque la différence et explique la situation dans laquelle nous sommes. On peut se demander au terme de la lecture si ce livre est vraiment destiné aux « jeunesses arabes » ? N’est-il pas avant tout destiné au tout-venant qui désire comprendre : homme de la rue, animateurs d’associations, communautés religieuses, familles, couples mixtes, jeunes esseulés…
Voilà donc un duo efficace et des pages que nous recommandons pour fonder une civilisation « qui se mesure à la qualité des objets de colère qu’elle propose à sa jeunesse. » (Abbé Pierre). A lire !
Patrice SABATER
Istanbul, Octobre 2019