L’évêque de Münster, Mgr Van Galen “ lion de Münster ” un prélat debout devant Hitler
Auteur: Patrice Sabater
Luc ALDRIC, « Von Galen ou l’Honneur de l’Eglise ». – Pièce en trois actes. Ed. Thierry Sajat. Paris, mars 2022. 165 pages. 14 €.
Clemens-August Cardinal allemand von Galen (1878-1946), comte et évêque de Münster (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) compte parmi les grandes figures catholiques de la Résistance contre le Nazisme. On a sans doute en mémoire davantage les Pasteurs Boegner et Dietrich Bonhöffer, l’Abbé Stock, saint Maximilien Marie Kolbe, Sophie Schöll… ; et pourtant cet ecclésiastique a été un des premiers à s’être levé et à s’être affronté aux thèses du « Reich de 1000 ans ». Il entre en quelque sorte dans une sorte de dissidence. Intraitable, vigoureux, droit dans ses bottes, courageux, enraciné dans la foi, il mérita le surnom de "lion de Münster".
Le Pape allemand Benoît XVI a présidé, à Rome, la célébration de béatification de l’évêque rhénan, le dimanche 9 octobre 2005. Il insista sur son "courage héroïque" pour défendre "les droits de Dieu, de l'Eglise et de l'homme, que violait le régime nazi au nom d'une idéologie néo-païenne aberrante". Il revient sur l’action du prélat de Westphalie, en estimant qu’il y avait là un enseignement puissant sur les droits de la vie et sur le devoir de tout chrétien de s’engager pour la défense de la vérité. « Là réside le message toujours actuel du bienheureux von Galen, disait Benoît XVI : la foi ne se réduit pas à un sentiment privé, qu’il faudrait peut-être même cacher lorsqu’elle dérange, mais implique la cohérence et le témoignage également dans le domaine public, en faveur de l’homme, de la justice et de la vérité. »
Il naît au sein d’une famille aristocrate westphalienne catholique pour qui « la noblesse n’a d’existence et de justification que par sa vocation au service du Bien Public, comme clef de voûte d’une société cohérente et tournée vers Dieu ». Il est le onzième de treize enfants. Les parents du jeune van Galen sont très pieux et enracinés dans la Personne du Christ. Son père est député du Parti catholique Zentrum au Parlement allemand. Depuis 1860, les Catholiques allemands ont constitué un Parti politique. Il est dirigé par Windthorst. Ce dernier exprime une idée centrale de son Parti :
« L’Église de Dieu, Épouse sacrée de Notre-Seigneur, doit être libre en Prusse. Les années de Kulturkampf que nous avons subies ont été des années de gloire ; car, depuis la Réforme, jamais la vitalité et la puissance de l’Église n’ont été comme elles le sont aujourd’hui, reconnues par nos ennemis eux-mêmes... ».
Ce Parti compte une centaine de députés au Reichstag. Ils sont particulièrement bien représentés en Rhénanie. Ils optent pour une unité politique, culturelle, et linguiste de l’Allemagne avec l’Autriche. Le Parti Zentrum défend trois idées majeures : la légitimité des Princes dépouillés par la Prusse, la souveraineté des Principautés et la foi catholique. Ils s’opposent au désir de Bismarck d’unifier l’Allemagne, et fonder une Église nationale. Le Chancelier expose sa pensée dans une description politique concernant le Zentrum : « Il faut bien rendre le Zentrum inoffensif car aussi longtemps que le Zentrum existera, on ne le fera pas plier s’il est en majorité et, s’il est en minorité, on ne l’intimidera pas. Il faut donc nous débarrasser du Zentrum et, avant tout, du méchant guelfe Windthorst. »
A la mort du Pape Pie IX en 1878, Bismarck se tourne vers Léon XIII. Il veut vaincre la résistance du Zentrum au Reichstag. Il obtient la promesse que le Parti renoncera désormais à ses exigences politiques, et se cantonnera à défendre seulement la foi catholique. Il ne sera pas étonnant de voir plus tard se lever chez le fils von Galen une volonté de remettre « les pendules à l’heure » face au nouveau Chancelier du Reich ; Adolf Hitler. Il milite pour défendre l’Europe chrétienne et la grandeur du Christianisme. Pensionnaire chez les Jésuites, il décide de consacrer sa vie à Dieu et, est ordonné prêtre en 1904.
Il débute son ministère à Berlin, puis est nommé à Münster en 1929. Dans un petit livre publié en 1932, « Le Fléau du laïcisme », il dénonce la déchristianisation de la société. Il est l’un des premiers en Allemagne à dénoncer l'idéologie nationale-socialiste et des thèses d’Adolf Hitler. Il écrit : « Je crains que des catholiques égarés par l’apparence du bien et du bon, contaminés par une opinion publique fondamentalement antichrétienne, et plus encore non-catholique, ne soient victimes d’erreurs fatales. »
En 1933, Clemens-August est appelé à l’épiscopat. Il prend pour devise épiscopale ce qui sera son action : « Nec laudibus, nic timore » (« Ne se laisser influencer ni par la peur, ni par la flatterie »). Convoqué à Rome par Pie XI, il prendra part à la rédaction de l’Encyclique « Mit Brennender Sorge » afin « d‘éveiller les réflexions de ceux qui ont déjà commencé à se laisser prendre aux appâts et aux menaces des adversaires du Christ et de son Évangile ».
Hitler redoutait ses prises de position depuis la chaire de sa cathédrale, ses homélies tonitruantes contre le National-socialisme et la machine de mort de l’idéologie nazie. De plus en plus de fidèles viennent écouter l’évêque téméraire. En 1934, il signe courageusement la préface d’un livre d’Alfred Rosenberg, un des théoriciens du IIIe Reich. Un condensé de cette Préface est lu dans toutes les églises du diocèse de Münster.
Un décret du 1er septembre 1939, autorise officiellement de mettre à mort les handicapés, l'euthanasie pratiquée dans les hôpitaux, les marginaux et les dépressifs pour libérer des lits d’hôpitaux afin d’accueillir les futurs blessés de guerre, ainsi que les persécutions de la communauté juive. A Münster, la nouvelle attise la contestation de plus en plus forte auprès des Catholiques. Pie XII intervient le 15 décembre 1940 condamnant fermement l’euthanasie.
Il se tourne vers les évêques allemands et les invite à dénoncer ces crimes. Le 9 mars 1941, l’évêque de Berlin, Mgr von Preysing dénonce en chaire les « meurtres baptisés euthanasie ». Mgr von Galen charge ses collaborateurs de copier ses sermons et de les diffuser largement jusque sur le front. Parmi ces textes nombreux, trois sermons datés des 13 juillet, 20 juillet et 3 août 1941 seront lus à la BBC et parachutés dans plusieurs villes allemandes. Dans le dernier de ces derniers on y lit : « Il y a un soupçon général confinant à la certitude, selon lequel ces nombreux décès inattendus de malades mentaux ne se produisent pas naturellement, mais sont intentionnellement provoqués, en accord avec la doctrine selon laquelle il est légitime de détruire une soi-disant « vie sans valeur » – en d’autres termes de tuer des hommes et des femmes innocents, si on pense que leurs vies sont sans valeur future au peuple et à l’état. Une doctrine terrible qui cherche à justifier le meurtre des personnes innocentes, qui légitime le massacre violent des personnes handicapées qui ne sont plus capables de travailler, des estropiés, des incurables des personnes âgées et des infirmes ! »
C’est ainsi que le dimanche 3 août 1941, l’évêque dénonce en chaire l’assassinat des handicapés par les Nazis : « C’est une doctrine effrayante que celle qui cherche à justifier le meurtre d’innocents, qui autorise l’extermination de ceux qui ne sont plus capables de travailler, les infirmes, de ceux qui ont sombré dans la sénilité… N’a-t-on le droit de vivre qu’aussi longtemps que nous sommes productifs ?»
Hitler, fou de rage, se « sentit vaincu » par son impuissance à pouvoir agir contre lui… Sur l’insistance de Joseph Goebbels, le Reich Führer renonce à faire assassiner l’évêque pour éviter un conflit massif avec les chrétiens d'Allemagne, de Westphalie de Münster. Trois semaines après le coup d’éclat de Mgr von Galen, le 24 août 1941, Hitler suspend « l’Aktion T4 », qui aurait fait plus de 100 000 morts.
Après la chute du régime nazi, l’évêque condamnera la dureté des Occupants et protestera contre les bombardements meurtriers des Alliés. Il récusa le concept de responsabilité collective du Peuple allemand, qui fut le premier à subir l’idéologie meurtrière et barbare du National-socialisme. Dans sa ville bombardée par les Alliés, après la chute du Reich, il est accueilli en véritable héros. Il sera créé Cardinal par le Pape Pie XII, le 20 février 1946, et décèdera un mois plus tard.
C’est donc à partir de cette trame historique que Luc Aldric présente l’action et l’engagement de l’évêque de Münster au nom de l’Evangile, de la Vérité et de l’Humanité. Le titre de l’ouvrage parte de lui-même : « Von Galen ou l’honneur de l’Eglise ». C’est, en fait, une Pièce en trois Actes que nous propose l’auteur. 8 personnages animent les débats, et font revivre cette période dans des débats difficiles et parfois un peu rudes. Bien sûr, cette Pièce est une fiction, une relecture historique au cœur de la tragédie. Il n’en reste pas moins, et bien que les échanges soient quelques fois un peu rugueux, le lecteur est confronté à tout ce qui s’est tissé durant cette époque. Un homme contre un régime. Une volonté contre une idéologie. La foi d’un homme contre la barbarie. Il y a là un véritable débat de conscience. Que faut-il faire ? Que faut-il penser ? Comment un homme d’Eglise allemand peut être à la fois fidèle à son pays, être un patriote, un résistant spirituel engagé, et à la fois un ennemi du pouvoir établi ? L’avenir de l’Eglise est aussi en jeu. Vaut-il mieux sauveur l’honneur et une idée provenant de l’Evangile ou au contraire sauver l’Eglise et la concorde en fermant les yeux et, en ne faisant rien ? Jusqu’où est-il permis d’aller ? Jusqu’à quel point de non-retour ?
L’Acte I, campe la situation et le plan nazi plan pour étouffer le Catholicisme en Allemagne. Que convient-il de faire de l’évêque ? Hitler, Goebbels et Goering sont à la manœuvre, et réfléchissent à ce qu’il serait judicieux de faire de cet homme sans en faire un martyre.
L’Acte II, présente Hermann Goering qui tente une manœuvre d’intimidation auprès de von Galen « en s’invitant » à l’évêché. L’impétrant inattendu menace et tempête. En face de lui, un homme libre et convaincu qui ne cède pas. Il résiste comme un lion. Les idées de l’un et de l’autre ne trouvent aucun lieu de confluence.
L’Acte III, ne se déroule plus en Allemagne mais dans les murs du Vatican. Nous sommes le 18 février 1946. Nous sommes à l’avant-veille de la remise du chapeau de Cardinal à l’évêque von Galen. Pie XII lui ouvre son cœur. Il admet qui lui a manqué sans doute le courage pour tenir tête à Hitler comme Mgr von Galen ; et surtout en ce qui concerne la Shoah, le soutien et l’urgence à sauver les Juifs. Cette question est encore très débattue par les historiens, et l’engagement de Pie XII encore très controversée.
A sa mesure, ce Cardinal aura été l'honneur de l'Église de l’Allemagne. En Europe, il ne fut pas le seul. En France, des évêques tels Mgr Saliège, et bien d’autres, ont eux-aussi pris la parole au risque de leur vie. Des pasteurs, des prêtres, des religieux et des religieuses, des laïcs ont, dans des actes simples et héroïques, portés secours aux Juifs et à tous les persécutés. La magnifique exposition du MAHJ (Paris) aura su montrer à la fois les travers, les impasses de certains dans l’Eglise catholique, mais aussi le courage et l’abnégation de tant d’autres. Le musée de la Déportation, à Marseille, présente également des figures héroïques et généreuses.
La Pièce de théâtre que nous offrent les Editions Thierry Sajat peut-être une source d’exposé et de débat auprès des jeunes, de tous ceux qui travaillent cette période de l’Histoire, et qui cherchent à faire la vérité. Elle vous embarque. Le courage et la Vie sont les deux vainqueurs de cette tragédie qui reste pour tous une plaie encore vive de notre histoire contemporaine. A lire !