L’islam pensé par une femme
Auteur: Nayla TABBARA
Une parole de femme, dans un univers patriarcal où la parole est dispensée par des hommes en direction d’autres hommes… cela est plutôt assez rare dans le contexte de l’islam. Les Editions BAYARD viennent contredire cette affirmation en proposant le livre, L’islam pensé par une femme[1], d’une Libanaise, Docteur en en Sciences des religions de l’École pratique des Hautes Études de Paris et Théologienne musulmane. Il s’agit de Nayla TABBARA. Elle est vice-présidente et co-fondatrice de la Fondation Adyan qu’elle a créée, à Beyrouth, avec le Père Fadi DAOU le 6 août 2006.[2]
Le titre peut être trompeur si l’on s’attend à une présentation d’une théologie musulmane féminine. Il n’en n’est rien. Certes, elle aborde les questions qui font l’actualité comme celles concernant le voile, la place de la femme au cœur de l’islam… Son propos est de revisiter, sous un angle nouveau, le Coran et la Tradition coranique. Comme théologienne et historienne, elle aborde les questions telles que : Dieu au-delà du Genre, la lutte de féministes musulmanes, l’Islam et l’autre : une Théologie de la diversité religieuse, Islam et handicap : vers une Théologie de la fragilité ou encore Islam et politique : de l’Etat musulman aux citoyens musulmans.
Si elle s’appuie sur le texte coranique, elle y ajoute cette part sensible et féminine en y associant à la fois spiritualité, dimension mystique soufie et une proposition d’un islam plus libéré de lui-même. Pour le dire avec d’autres mots, d’une « Théologie de la Libération » ouverte sur le monde, sur le dialogue et sur la paix. Chemin de rencontres pluridimensionnelles, pluri-religieuses et islamo-chrétiennes qu’elle vit au jour le jour au cœur de sa Fondation. Le chemin veut libérer le cœur de l’Homme sur la compréhension qu’il a de lui-même et de son rapport à la fois au monde et à sa Tradition dans laquelle il est né. Cette Théologie est née certainement du fait de son expérience en lien avec la Communauté de l’Arche de Jean VANIER. Ses membres « sont convaincus que la reconnaissance de la fragilité, inhérente à toute personne, contribue à transformer les relations sociales et à bâtir une société plus humaine (…) la rencontre avec les personnes ayant l’expérience du handicap nous invite à questionner notre propre rapport à la fragilité et à se laisser « humaniser » par cette expérience. » (L’Arche) Un éloge de la fragilité repérée, reconnue et acceptée qui devient chemin de fraternité. Ce chemin est aussi valable pour l’islam et dans ses rapports interpersonnels. Elle chemine en bonne compagnie en partant de penseurs réformistes connus dont elle partage la vision : Mohammed Abdou, Ali Abderraziq, Mohammed Charfi, Burhan Ghalioun, Farid Esack… C’est ainsi qu’elle aborde des lieux nouveaux d’investigation et de recherches à partir de plusieurs expériences : celle pour la paix et la non-violence avec l’Emir ABD-el KADER, de la Théologie de la Libération avec Asma LAMRABET et Farid ESACK, pour une véritable participation des femmes dans les fonctions religieuses (l’imamat), l’acceptation des limites et des fragilités et enfin, pour le dialogue.[3] Elle ouvre également le dossier du mouvement féministe, de ses combats au cœur de l’islam, et revient sur les versets sujets à la polémique.
Ce livre n’est pas polémique…, bien au contraire ! Le chemin pour libérer les Hommes de leurs carcans qui les paralysent bien souvent peut aussi être des lieux de libération dans la mesure où chacun accepte simplement et humblement ses propres limites. C’est un dialogue authentique, au cœur de la foi et d’une histoire, qui peut se nouer au sein même d’une Tradition. On aura peut-être après la lecture de ce livre une autre compréhension de l’islam…, donnée à bout de sensibilité par une femme. Merci Madame !
Patrice SABATER,
Décembre 2019
Nayla TABBARA, L’Islam pensé par une femme. Editions Bayard, Paris 2018. 227 pages. 16,90 €
[1] Ce livre a été récompensé en 2019 par le Prix « Ecritures et Spiritualité.
[2] Adyan est une Fondation libanaise pour les études interreligieuses et la solidarité spirituelle. Ses membres sont chrétiens et musulmans. Elle travaille dans le domaine de l'éducation interculturelle au niveau universitaire et scolaire, dans celui de l'engagement social à travers des actions inter-communautaires et de sensibilisation à travers la production de médias et d’activités culturelles. (cf. la liste des membres honoraires sur : https://adyanfoundation.org/presentation/membres-honoraires/?lang=fr)
[3] Elle a publié en avec Fadi DAOU, un livre sur le dialogue et la dimension inter-religieuse : « L'hospitalité divine: l'autre dans le dialogue des théologies chrétienne et musulmane ». (Ed. Chemins de dialogue/Marseille 2013).