Raimon Panikkar, L'expérience de Dieu. Icônes du mystère
Recension de Raimon Panikkar, L'expérience de Dieu. Icônes du mystère, par Sabine Ginalhac
Raimon PANIKKAR, L'expérience de Dieu. Icônes du Mystère, Paris, Albin Michel, Coll. "Spiritualités", 2002
THÈSE
Cet ouvrage de R. Panikkar se présente comme une méditation qui conduit le lecteur par petites touches au cœur de la question de l'expérience de Dieu, entendue sans implication d'appartenance religieuse, mais comme accès à la dimension d'infini, de non-fini qui sous-tend toutes les expériences humaines, possibilité de « toucher la totalité de l'Etre avec la totalité de notre être ».
Cette expérience ultime est non seulement possible pour chacun, puisque tout homme possède, consciemment ou inconsciemment, la foi comme capacité d'ouverture à la transcendance, mais encore nécessaire dans la mesure où elle seule nous permet de réaliser la plénitude de notre humanité. C'est une expérience personnelle et unique qui ne requiert aucune autre médiation que celle de notre être entier et unifié dans la pureté du cœur et dans le silence. Elle ne saurait ainsi être monopolisée par aucune tradition ni caste de spécialistes. Pour autant, l'expérience mystique est inséparable d'une interprétation et de sa réception dans un contexte culturel, et donc des médiations du langage et de la croyance en tant qu'expression symbolique de la foi, articulation doctrinale élaborée par une communauté. L'institution doit viser à « faire transparaître l'expérience » pour en faciliter l'accès à d'autres.
L'expérience du divin coïncide avec celle de la contingence; c'est la prise de conscience de nos limites, de la précarité de notre condition, qui nous permet de percevoir un « au-delà », un « quelque chose qui embrasse tout » et dans lequel nous pouvons mettre notre confiance, cette « confiance cosmothéandrique » qui lie le cosmos, Dieu et l'homme.
Il ne s'agit pas de mon expérience sur Dieu (« génitif objectif »), mais de la conscience que j'ai de l'expérience propre de Dieu, en moi (« génitif subjectif »), de ma participation à cette expérience qui constitue le noyau de mon être. Cette expérience de Dieu en moi me révèle à moi-même comme « un tu de Dieu», et me rend capable de découvrir ce « tu divin » en toute chose, spécialement dans mon prochain que je peux alors aimer « comme un moi-même ». «Ce n'est pas l'expérience d'un 'je suis' mais d'un 'nous sommes'. En langage chrétien on l'appelle la Trinité. ».
Pour le chrétien, l'expérience divine, est l'expérience de Jésus ressuscité. Il est appelé à vivre l'expérience transformatrice d'être ressuscité par le Christ, spécialement dans l'eucharistie où il devient « l'espace d'un instant pleinement lui-même dans la mesure où il participe au mystère du Fils ». Ceci sans négliger le dynamisme constant de l'Esprit qui nous rappelle que « l'expérience de l'Etre ne consiste pas à le saisir [...] mais à être étant avec l'Etre .»
REGARD CRITIQUE
L'approche de R. Panikkar, grand théologien catholique pétri de la culture et de la spiritualité de l'Inde, ne manque pas d'originalité. La vision de la réalité dont se réclame l'auteur est celle du non-dualisme (advaita) qui récuse le clivage entre esprit et matière, divinité et réalité. Le lecteur chrétien peut se sentir parfois déstabilisé par le paradoxe (l'oxymore) érigé en mode de pensée: l'expérience de Dieu posée comme à la fois impossible et universelle puisque déjà présente en tout un chacun; le mot 'Dieu' qualifié de « pas nécessaire » et substitué par les notions de « symbole », d'un « tu » ou « d'un 'plus' dans lequel nous pouvons avoir confiance d'une manière ou d'une autre »; l'amour et la joie, mais aussi la souffrance et le mal, repérés comme lieux de l'expérience ultime. Les pages sur la Trinité et l'urgence de redonner toute sa place à l'Esprit qui est Celui qui nous emporte dans l'expérience de Dieu, sont d'une lecture tout à fait stimulante. Les réflexions de R. Panikkar aident à prendre conscience que l'acte de foi s'incarne dans une culture, démarche impérative pour pouvoir aller à la rencontre des autres traditions religieuses sans crainte de dissolution de notre spécificité.