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Note de lecture sur "René GIRARD, biographie", de Benoît Chantre

15 janvier 2024 | resena
Note de lecture sur "René GIRARD, biographie",  de Benoît Chantre

Benoît Chantre, René Girard, biographie, Éditions Grasset, Paris 2023

 

Note de lecture par le fr Michel Van Aerde op

 

Ceux qui apprécient la pensée de René GIRARD, se réjouiront de la parution de sa biographie soigneusement présentée par Benoît Chantre qui fut son collaborateur privilégié pendant de longues années. Parfaitement documenté grâce aux archives et aux apports de la famille, le livre est riche d’anecdotes. Il retrace les grandes étapes de la vie de R.G. en suivant les déplacements géographiques, Avignon, Paris, les différentes implantations aux Etats-Unis, et les grandes crises de violence : l’occupation allemande, la libération, la guerre froide, l’assassinat de J.F. Kennedy, les twin-towers, le terrorisme djihadiste etc.

 

Surtout Benoît Chantre partage avec René Girard la pratique professionnelle de la critique littéraire. Cela lui permet d’introduire les non spécialistes dans la recherche intellectuelle de celui-ci, en suivant pas à pas ses découvertes au gré de son étude des grands auteurs. Ce ne sont pas d’abord les écrits bibliques qui révèlent à R.G. les mécanismes du conflit mimétique, mais Madame de La Fayette, A.F. Prévost, Stendhal, Proust, Hölderlin, Dostoïevski, de Nerval, Malraux... Il découvre dans la Bible ce qu’il avait déjà trouvé dans la grande littérature.

 

Cette biographie nous partage la polémique qui fait rage, douloureuse pendant longtemps, jusqu’à la consécration des grands tirages et de l’accueil à l’Académie Française. R. Girard vit en sa chair ce qu’il enseigne : la mise à l’écart systématique de ce qui révèle le sacrifice fondateur de la culture humaine. Au même titre que le « logos de vie » et que les écritures judéo-chrétiennes, les écrits de R. Girard seront marginalisés, critiqués injustement, niés autant que possible et parfois, ce qui est scandaleux, par les théologiens eux-mêmes. Pour rester fidèle à ses intuitions, il fallait à notre penseur non seulement une bonne dose de ruse pour contourner la censure anti-biblique, beaucoup de courage aussi et plus encore une vraie foi en la passion-résurrection christique, ce mystère profond qui anime toute vie véritable.  

 

Si Régis Debray écrivait dans Le feu sacré « Je suis un incroyant convaincu qu’il faut croire » et restait au seuil, R. Girard, lui, vit une expérience qui s’étale sur plusieurs années. B. Chantre l’évoque avec discrétion et grande clarté. Lorsque, sous la Coupole, R.G. fait l’éloge de son prédécesseur le père Ambroise-Marie Carré, il livre quelques détails de son expérience spirituelle. Son œuvre, dira-t-il, prend sa source en cette période de joie profonde qui « opère en son existence une césure irréversible ». Il reprochera cependant au dominicain d’avoir trop parlé de cette illumination intime, vécue à quatorze ans, dont il a fait un « égotisme » et « non le commencement d’une œuvre ». N’y aurait-il pas, comme l’écrivait un autre dominicain converti, J.P. Jossua, une deuxième et nécessaire conversion, celle de la maturité spirituelle qui accepte la distance d’avec l’expérience ressentie ?

 

 R.G. se dit alors chrétien, se remarie à l’Église catholique, baptise ses enfants et pratique régulièrement. Cela n’est évidemment pas « vendeur » ni surtout « orthodoxe » dans le monde académique qui est le sien. Bien peu le lui pardonneront. Des théologiens le traiteront de « donatiste » et de « gnostique », comme le fait Paul Valadier s.j. et quelques autres « gardiens du Temple », « propriétaires de Dieu ». Ils mépriseront tragiquement le renouvellement que sa pensée vient apporter. Vers la fin de cette biographie magistrale, B. Chantre révèle que R. Girard s’intéresse à deux philosophes contemporains majeurs, Emmanuel Levinas et Michel Henry qui, eux aussi, provoquent la théologie à se reformuler. Il y va de chantiers urgents comme celui du péché originel, celui de la sotériologie, et celui de l’Eucharistie bien entendu.

 

En cette année centenaire de la naissance de R. Girard, ce livre passionnera tous ses amis. S’ils sont tentés de le fermer quand la critique littéraire « tricote » à l’envi une phrase à l’endroit, une phrase à l’envers, qu’ils sautent ces pages allégrement. Il ne faudrait pas qu’ils manquent tout ce que l’on apprend sur la personnalité de R. G., ses doutes, ses combats et ses victoires. Par les chemins multidisciplinaires de sa lutte intellectuelle pour la vérité, il élabore un système qui, comme toute théorie scientifique, est réducteur, il le reconnaît. Comme tout grand artiste, il simplifie, stylise et dévoile, en quelques équations, le noyau dur de la culture humaine, « ce qui était caché depuis la fondation du monde ». Ainsi s’éclairent les choix dont dépend maintenant la survie de l’humanité. « Que celui qui a des oreilles, entende » ! René Girard est un prophète. Il nous invite à écouter le Logos de la Vie.

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PS Pour ceux qui sont intéressés, Domuni propose un cours "René GIRARD, le système mimétique", qui introduit à sa pensée.