Richard Rorty, Gianni Vattimo , L’avenir de la religion
Recension de Richard Rorty, Gianni Vattimo , L’avenir de la religion, Solidarité, charité, ironie, par Pierre-Yves Materne, op
L’ouvrage, introduit par Santiago Zabala, contient deux contributions importantes des philosophes Richard Rorty et Gianni Vattimo, et s’achève par un dialogue entre les trois auteurs. Pour ceux-ci, la religion, si elle se veut porteuse d’un avenir, devra nécessairement passer par un ajustement pour entrer dans la postmodernité. Pour Rorty, la Révolution française a remis en cause la pensée traditionnelle. Selon Vattimo, c’est le christianisme lui-même qui a entraîné une sortie de la métaphysique. Pour les deux penseurs, une prise au sérieux de l’historicité du langage et de la connaissance conduit à la remise en question de nos représentations au sujet de la vérité, de l’objectivité, de la religion ainsi que de la métaphysique. Dès lors, l’avenir de la religion se joue sur le plan de l’éthique.
Rorty reconnaît la légitimité de la religion à condition qu’elle demeure une affaire privée, sans influer sur la vie politique. Les institutions religieuses peuvent avoir une visibilité sociale à condition de ne pas faire concurrence aux autorités politiques. Pour ne pas mettre en danger la démocratie, ces institutions devraient se faire aussi discrètes que possibles. Quant à Dieu, c’est une question que se situe au-delà de la pensée discursive. C’est peut-être tout simplement une affaire de goût personnel.
Pour Vattimo, le christianisme enseigne que la vérité qui libère est la vérité de l’amour (Cfr. Jn 8, 32). Hélas, l’Église a confondu cette vérité avec l’objectivité. En prétendant que son discours était scientifique, la vénérable institution a condamné des gens, dont Galilée peut être vu comme le symbole. La prétention à donner une vérité objective conduit à l’autoritarisme, ce qui est incompatible avec la démocratie.
Aujourd’hui, ajoute Vattimo, nous sommes davantage à l’écoute d’un message historique chrétien qui a marqué la culture occidentale et qui attend une réponse. La vérité se rencontre dans cette relecture du message et sa mise en pratique, dans une réelle discussion avec autrui. La théologie est une alliée de la pensée postmoderne quand elle reprend l’idée de création et d’histoire du salut. Celles-ci sont incompatibles avec une métaphysique objective qui se situe au-delà des contingences. L’Église, quant à elle, devrait donc être moins une institution qui enseigne qu’une communauté de croyants qui interprète le message transmis.
Un avenir de la religion s’avère possible à la lecture de cet ouvrage philosophique. Ce n’est pas une mince affaire que de voir des philosophes réputés se préoccuper de la question de Dieu alors que bon nombre de nos contemporains ont tendance à ne plus se la poser. Alors que Vattimo fait part de sa foi dans le Dieu biblique, foi qui est une espérance plutôt qu’une affirmation décidée, Rorty ne se sent pas concerné sauf pour défendre la démocratie à l’égard d’une influence des croyants.
La méfiance de ce dernier tient sans doute au contexte des USA, où le fait religieux est socialement très présent sans être toujours une bonne nouvelle pour la vie démocratique. Les deux philosophes sont en faveur d’une privatisation de la foi, ou à tout le moins chez Vattimo d’une réduction de la foi à un appel éthique. Rorty craint que le langage religieux ne soit porteur de confusion et de violence, tandis que Vattimo envisage le christianisme en tant qu’éthique universelle sécularisée. Par conséquent, les Églises peuvent-elles encore dire quelque chose de spécifique sur les défis de notre monde ? Rorty suspecte les institutions religieuses de vouloir s’en prendre à la démocratie. Il y a en effet des craintes à avoir à l’égard de certains mouvements fondamentalistes, mais il ne faut pas généraliser. Vattimo, pourtant séduit par le Dieu biblique, oublie la grande tradition du prophétisme… Les Églises ont un rôle à jouer sur la place publique, sans autoritarisme, mais en osant rappeler certains principes qu’on aurait tort de négliger. Une éthique sécularisée, même animée par l’amour, risque toujours de devenir conformiste.