Sur les chemins de Jérusalem. Juifs, chrétiens et musulmans en pèlerinage vers la Ville Sainte
Auteur: Patrice Sabater
Philippe MARTIN, Sur les chemins de Jérusalem. Juifs, chrétiens et musulmans en pèlerinage vers la Ville Sainte. Ed. Tallandier, Paris 2024. 320 pages. (21,90 €)
Le Chemin à parcourir porte notre existence au fil des générations. L’Homme est avant tout un marcheur. Il a marché avant de courir, et de savoir se déplacer autrement. C’est la condition de l’Homme que de savoir marcher en allant d’un point à l’autre. Cela s’apprend. « En marchant on fait le chemin » disait le célèbre poète espagnol enterré à Collioure dans « Campos de Castilla ». Chemin de vie et chemins de rencontres, chemin de fraternité et chemins de pèlerinage ouverts sur la quête du transcendant. L’homme se met en chemin également pour son salut, pour se retrouver lui-même tout en cherchant Dieu, pour répondre à une question ou se faire pardonner.
La marche rejoint le chemin intérieur du pèlerin ; et un de ces premiers lieux est celui qui nous conduit vers Jérusalem. « Il est des lieux qui s’imposent brutalement. Jérusalem en fait partie… un panorama qui se pense dans l’immortalité (…) Comme ville, Jérusalem n’a de valeur que parce qu’elle a été un centre politique et un sanctuaire. En effet, le climat y est rude, elle n’est pas placée sur un axe stratégique et l’approvisionnement en eau est problématique ». C’est ce que nous rapporte Philippe MARTIN, Directeur de l’Institut supérieur d’études des religions et de la laïcité (Université de Lyon 2), dans son dernier ouvrage consacré aux chemins qui mènent et qui aimantent les Hommes vers Jérusalem. Une histoire vieille de trois mille ans…
On s’est battu pour la conquérir et pour la garder. Le roi David après les Jébuséens en fait sa Capitale. Le Peuple hébreu trouve là l’épicentre de ce qu’il est, et le terminus ad quaem où se tisse et se noue son identité profonde. Avant lui, le grand Hanif – le Père des Trois grandes religions monothéistes – vient y sacrifier son fils Isaac. Le Patriarche en ce lieu inscrit dans la pierre le souvenir de « la ligature » (« Aquedat ») par obéissance à Yavhé comme Salomon inscrira à son tour dans la pierre la sainteté dans les murs du Temple pour que l’Arche d’Alliance puisse y reposer. Le Christ y vit sa Passion, y meurt et y ressuscite. Chaque fils d’Abraham s’y sent matriciellement chez lui.
L’auteur nous dit que « le lieu saint est une construction mentale pour des religions qui s’épanouissent hors de la Terre Sainte. Si elles étaient demeurées enfermées dans des groupes locaux, elles n’auraient sans doute jamais investi avec une telle force. Or, le judaïsme, en raison de la diaspora, a besoin d’un point d’ancrage où se fixent le regret et l’espoir. Le christianisme et l’islam ayant une visée universaliste, il leur faut passer du monde des textes à une inscription dans un univers familier que les fidèles peuvent reconnaître. Cette édification d’un espace sacré exige trois composantes » : un récit incarné dans des lieux, l’organisation d’un culte et un lieu de rassemblement.
L’introduction du livre précise à grands traits utiles et intéressants ce qu’est ce lieu, ce qu’il a été dans l’Histoire au travers du temps et au sein des diverses confessions qui la vénèrent autant qu’ils se la disputent. L’auteur y décline son organisation en quartiers, les traits fondamentaux, et les lieux sacrés de chaque religion : « Les juifs se retrouvent au Mur des Lamentations… Les chrétiens se sont appropriés la Terre Sainte et y ont déployé une mémoire collective fondatrice (…) L’espace musulman est ramassé autour de l’esplanade des Mosquées, qu’il serait plus juste d’appeler le « Haram al-Sharif (« le noble sanctuaire ») … Ces trois lieux communs aux trois religions ne sont pas clos. Bien des lieux sont communs aux trois religions ». Comme les murailles de Jérusalem, il y a plusieurs portes d’entrée. L’expérience du pèlerinage obéit à quatre étapes : quitter son quotidien et son environnement, se déplacer, être en disposition de rencontre l’autre et Dieu et être dans une dynamique de réappropriation. La démarche spirituelle ne se cantonne pas à être vécu dans un passé lointain mais dans l’aujourd’hui de ma vie et celle de Dieu pour marcher vers un futur, vers une conversion des cœurs.
Le livre se focalise uniquement sur les Lieux saints « qui n’ont de force que parce des hommes et des femmes viennent prier, apporter leurs espoirs, vivre à l’ombre des légendes ». C’est ainsi que l’auteur nous décrit l’itinéraire de 28 pèlerins qui se sont déplacés à Jérusalem des origines de la ville jusqu’à aujourd’hui. Ce sont des portraits d’errants ou de rêveurs, des hommes de foi ou des écrivains, des hommes de guerre pour raconter trente siècles de passion dans une ville multiple où tout converge et où tout est forcément exacerbé… Salomon, Zorobabel, Egérie, le Sultan Omar, Benjamin de Tudèle, Mujir al-Dîn, Dom Loupvent Sabbataï Zvi, Chateaubriand, Moïse Montefiore, Pierre Loti, Arthur Koestler, Moshe Dayan, Anouar el Sadate… Philippe MARTIN n’hésite pas dans l’Épilogue à convoquer le chanteur Michel Delpech parmi les pèlerins aux côtés de des théologiens Hans Küng ou Urs von Balthasar, Isaac le Syrien ou saint Jean de la Croix. Chacun y fait une expérience unique et historique. Les attentes sont différentes et les manières de s’approprier un morceau de cette ville et de ce Ciel nous plonge dans le firmament en levant les yeux vers le Très-Haut : Jérusalem d’En-haut et Jérusalem d’En-bas…
Entrer dans cette ville, c’est entrer dans un espacé sacré, dans les interstices de ce qu’est la vie des Hommes qui prient les uns à côté des autres, et parfois qui se tournent ensemble vers leur Créateur. Qu’ont-ils trouvé au bout du Chemin ? Seul le cœur de chaque pèlerin garde ses secrets au plus profond de ses yeux, et derrière les fenêtres de ses yeux. Dieu continue à parler à l’Homme qui le cherche en toute vérité. Chaque pas compte dans un pèlerinage. Chaque pèlerin partant à Jérusalem apporte son regard, sa quête, sa vision, son intérêt spirituel et cultuel pour cette Ville trois fois sainte. Rien ne saurait éteindre la flamme ni l’espérance qu’on lui attache.
Espérance que la ville reste appelée à générer et asseoir la Paix et la concorde. Ne dit-on pas que si l’on arrivait à établir une paix réelle à Jérusalem alors elle serait scellée dans le monde entier ? Pour l’heure, cela reste un vœu pieux et un idéal, mais le propre du pèlerinage n’est-il pas de se déraciner pour s’enraciner ailleurs, et d’une façon plus constructive ? Les possibles sont toujours ouverts pour l’Homme qui cherche Dieu de façon honnête et humble. La paix ne sera dans cette ville qu’à ce prix. Jérusalem est en constante évolution, et se réinvente chaque jour parfois pour le meilleur, et parfois pour le pire. Rien de ce qui s’y passe ne reste entre ses murs. La Ville sainte est une caisse de résonnance dans le Monde entier, et nous rejoint là où nous sommes puisque nous sommes tous des Fils de spirituellement natifs de Jérusalem. A lire !