Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions
Sébastien de Courtois
Père Patrice Sabater, cm
A l’occasion du Prix littéraire 2017 de « L’Œuvre d’Orient », nous présentons ici un livre prenant. Il tient le lecteur en éveil par l’intérêt que l’on a à cheminer avec des populations en danger… Sébastien de Courtois nous livre son itinéraire au cœur de la Mésopotamie, de la Turquie, mais aussi du Liban et de la Syrie. Pour ce faire, il nous renvoie en 586 avant notre ère lorsque le roi de Babylone, Nabuchodonosor, enlève, défait et détruit Jérusalem. Cet évènement aura un retentissement quasi égal à celui qui marquera le sac de Constantinople par les Croisés, le 12 avril 1204. La Tradition rabbinique veut que le Psaume 137 (le seul à narrer ce terrible événement) ait été écrit par le prophète Jérémie : « Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion ». Il continue à être utilisé dans les liturgies juives, catholiques et orthodoxes au fil de l’année. L’évocation qu’en fait, ici, l’auteur n’est pas involontaire ni dénuée de sens…, bien au contraire !
Sébastien de Courtois quand il n’est pas assis à son bureau, quand il n’est pas à la bibliothèque de la rue Istiklal à Istanbul ou dans les studios de la Maison de la Radio à Paris…, voyage. Il nous fait voyager. « Noël et moi, nous connaissons depuis l’année passée, à Istanbul, où il avait été envoyé pour suivre la révolte du parc Gézi, en juin 2013… Nous avons entrepris ce voyage sur un coup de tête. Nous sentions tous les deux que l’actualité pouvait se précipiter… » (page 19). Le photographe et le journaliste ne peuvent rester muets devant « le drame qui se déroule à guichets fermés » (page 18). Nous sommes en août 2014. D’un coup et d’un seul, presque en un seul claquement de doigt des milliers de personnes sont sur les routes. L’horreur est là… « En quelques heures, la nouvelle a fait le tour du monde. Cette tragédie devenant celle des chrétiens d’Orient, un symbole qui ne peut plus être ignoré. Et pourtant… » (page 20) Et, c’est peut-être ici qu’il faut poursuivre le titre de ce livre en y ajoutant le deuxième segment du verset du Psaume 137 : « … et nous pleurions ». Devant un tel drame, faut-il « rester. Rester jusqu’au bout » ? (page 60)
En trois chapitres, Sébastien de Courtois nous plonge au cœur du Moyen-Orient déchiré, tiraillé, jeté sur les routes de l’exil et dans les affres de la mort : « Frontière », « Combat », « Mémoire ». Frontières artificielles nées en 1916, « combat quotidien contre l’oubli et l’abandon » des chrétiens contre l’indifférence de l’Occident (chrétien) au sort de leurs frères chrétiens. Dans le dernier chapitre, l’auteur, au gré de sa mémoire, nous entraîne dans ses souvenirs depuis Patmos la grecque jusqu’au Tur Abdin, en Turquie. Nous ne sommes pas, ici, dans l’ordre de papier à écrire, mais bien dans celui d’un témoignage ému qui tient aux tripes, qui devient nécessaire comme l’envie de boire dans le désert de nos vies… de ces vies « perdues » et éplorées. Il nous invite au Liban, mais aussi à Alep en Syrie… si belle et si envoûtante ! (pages 184-191)
La fin du livre se voudrait ouverte, disposée à accueillir l’espérance en regardant ceux qui reviennent peu à peu ; et la question se pose à nouveau à la page 198 : Faut-il revenir ? Faut-il rester ? Qui saurait le dire… ? « Le voyage en Orient n’est pas qu’un inventaire. Je veux le croire. Je dois avouer mon étonnement d’être chaque fois plus émerveillé par la persistance de ces gens. La vie s’accroche. Cette chronique n’est pas celle du renoncement… » (page 201)
Sébastien de Courtois nous le rappelle au risque de l’avoir oublié : « l’humain reste au centre de cette existence… » (page 201). Nos frères d’Orient se nourrissent de la foi en Christ, témoignent de la même façon que leurs pères et les martyrs au fil de l’histoire du Salut. L’encens qu’ils utilisent à satiété les plonge dans le Mystère au cœur duquel nous voudrions croire, comme l’auteur, qui les conduira comme les Mages vers l’étoile de la paix et de l’espérance.
Sébastien de Courtois ne force rien. Il accompagne nos pas et nos yeux là où nous ne voudrions sans doute pas aller…, seulement pour voir, pour soutenir, pour prier afin que le crépuscule des chrétiens d’Orient deviennent une aurore tranquille… où nous ne pleurerions plus comme à Babylone mais où nous reprendrions nos harpes pour chanter des Psaumes de joie.
Patrice Sabater, cm
19 avril 2017
Sébastien de Courtois, Sur les fleuves de Babylone, nous pleurions. Editions Gallimard, Paris novembre 2016. Coll. Folio n° 6215. 205 pages. 7,20 €
Crédit photos : Le Figaro et Ed. Gallimard.