Tsahal au Coeur d'israël
Auteur: HANNE Olivier
Olivier Hanne
En Israël, les élections récentes ont mis une fois encore le rôle primordial et le poids de l’armée; TSAHAL. À l'heure où la sécurité est une préoccupation majeure en Israël, les partis politiques ont cherché à intégrer d'anciens généraux dans la campagne électorale. Parmi eux, le Général Benny Gantz, tête de la liste du nouveau parti centriste Bleu-Blanc, et outsider de Benjamin Netanyahou, en est l’exemple le plus saisissant. Du côté Travailliste, c’est l’ancien Général Tal Russo qui a rejoint ce Parti de gauche. Durant les élections, il en était le numéro 2.
En Israël, les chefs d'état-major de l'armée finissent souvent par se présenter aux élections. Ils rejoignent majoritairement les rangs de la Gauche israélienne. Tel fut le cas pour deux d’entre eux qui sont devenus Premiers Ministres : Ehoud Barak et Yitzhak Rabin. En avril 2019, le Parti « Blanc Bleu », comptait trois anciens chefs d'état-major : Benny Gantz, Gabi Ashkenazi et Moshe Yaalon. Apparemment, ce qui les motiverait serait de mettre en échec la politique du Premier Ministre actuel préférant le retour à la table des négociations avec les Palestiniens et la solution en péril de "deux États pour deux peuples" plutôt que l'annexion des territoires palestiniens arguant que les conséquences seraient désastreuses pour notre pays et sa nature démocratique, et qu’elles menaceraient le projet sioniste des Pères fondateurs. Il faudrait bien sur apporter des nuances sur les positions réelles et concrètes des uns et des autres.
Pour la prochaine législature, parmi les députés, siègeront neuf généraux de Division. Alors, pourquoi une telle présence ? Pourquoi une telle pénétration dans la société israélienne ? Le livre d’Olivier HANNE, « Tsahal au cœur d’Israël », publié aux Editions Balland tente d’y répondre en retraçant l’histoire de Tsahal ou autrement appelée « armée de défense israélienne ». Une armée forte, invincible, fondant son autorité et sa force sur une idéologie, un imaginaire, un mythe fondateur attaché à la Création de l’Etat hébreu et l’adhésion de tout un peuple. Il s’agit d’un lien particulier et ontologique avec le peuple d’Israël pour sa défense et sa pérennité sur ces terres que l’Histoire a voulu donné au nom de Dieu. Aujourd’hui, contrairement aux positions antérieures et antiques, Israël se lève et brandit le bouclier de David. Est-ce bien cela ?
Revenons un peu en arrière pour dégager les lignes de force du livre d’Olivier HANNE. A la fin du 19ème siècle, de nombreux jeunes juifs quittent leurs shtetls d’Europe centrale pour rejoindre la terre ancestrale du Peuple d’Israël. Un jeune journaliste autrichien, Theodore Herzl, appelle à ce retour légitime et salutaire. Le sionisme naît… Ces jeunes quittent des lieux de pogroms et de persécutions pour se battre pour « une cause juste ». Là -bas, au loin, la place n’est pas libre ! Bientôt ils doivent s’affronter aux populations autochtones arabes. Les tensions sont de plus en plus nombreuses et attisent des mouvements armés difficiles. Les Ottomans laissent faire. C’est alors que ces jeunes juifs se rassemblent dans des groupes d’autodéfense. En 1909, ils créent une milice qu’ils nommeront en hébreu Hashomer qui signifie « sentinelle ». Elle crée ses propres Kibboutzim.
Les années passant, les juifs se donnent un nouvel instrument, la Hagannah, pour se défendre en vue de créer un jour l’Etat d’Israël. Indirectement, la Déclaration Balfour leur donne cette possibilité sans prendre part au conflit entre les Palestiniens et les jeunes sionistes. Soutenue par l’Agence Juive, la Hagannah pose les pierres lointaines du futur jeune Etat hébreu créé en 1948.
Devant les accrochages de plus en plus nombreux et violents, la situation s’envenime au point qu’une guerre éclate. La jeune Ligue Arabe prendra les armes pour défendre les Lieux Saints de l’islam et les biens des Arabes. C’est la déflagration et le début du conflit israélo-palestinien armé. David Ben Gourion crée alors une armée du Peuple Juif pour défendre son droit à vivre sur la terre d’Eretz Israël, et pour défendre les juifs qui aspirent à vivre libres et en paix après tant d’années de souffrance. Tsahal, l’armée israélienne, est créée. Israël remporte une victoire militaire et diplomatique. C’est le début de plusieurs longues années de conflits… La Crise de Suez (1956) marquera les esprits durablement. Pourquoi ? Parce qu’elle permet à Israël de montrer au monde arabe et à l’Occident qu’elle est devenue une puissance incontournable, et qu’il faut désormais compter avec elle. La guerre de 1967 attachera à Tsahal un imaginaire de puissance et de force ; particulièrement l’aviation israélienne. Néanmoins, trop d’assurance nuit forcément… Quand on se sent trop sûr, on risque quelques surprises. C’est ainsi que la Guerre de Kippour s’invite inopinément en 1973. La victoire éclatante et rapide renforcera cette admiration. Si l’armée israélienne reste un pivot indépassable du jeune Etat, il n’en n’est pas moins vrai que cette guerre marque le pas dans la société. On est moins sûrs. Les formes individualistes supplantent pourtant l’esprit originel davantage ancré dans un grand tout que l’on nommera « collectiviste ». La foi ne serait-elle plus là ? L’esprit des Pères fondateurs se déliterait-il ?
La création de Tsahal marque une étape importante dans la conception moderne de la conscription. Désormais, tout citoyen participera à la défense de l’État. Cependant elle demeure un des seuls facteurs de cohésion en Israël. Tous les citoyens juifs effectuent leur service militaire ; les filles compris. C’est le seul cas dans le monde entier ! Force est de constater que, s’il y a eu une évolution positive dans ce qui est demandé concrètement aux femmes en matière de défense, Tsahal reste néanmoins une armée assez virile ! L’armée permet l’intégration à la nation des minorités. Leur intégration reste assez disparate. La conscription obligatoire permet le mélange des classes et des religions facilitant ainsi l’intégration. Les Arabes en sont exclus. Les réflexions étatiques évoluant, en 2014, le Gouvernement accepte d’intégrer les Arabes chrétiens israéliens pour qui le service militaire devient obligatoire en 2014.
Les nombreuses vagues d’immigration juives vers Israël ont remis en question le service militaire traditionnel. Les Falashas (cf. Opération Moïse intégrant les Juifs Ethiopiens à l’Etat d’Israël) sont intégrés en 2015 sur décision du Premier Ministre d’alors; Benjamin Netanyahou. Ensuite, se seront les Juifs venus de l’URSS et des anciennes Républiques socialistes de l’Est.
Au fil dans années, le vernis s’est craquelé. Certains jeunes Israéliens remettent en question la politique expansionniste, colonialiste, la multiplication des guerres externes, la gestion de la politique interne liée au conflit israélo-palestinien. Certains jeunes contestent le fait que de jeunes orthodoxes juifs, en raison de leurs études dans les Yechivots et du don de leur vie à l’étude de la Thora, refusent d’intégrer, comme chacun des jeunes israéliens, Tsahal pour un temps de conscription citoyenne. Ces jeunes espoirs d’Israël ne souhaitent plus participer au service militaire qui les coupe dans leurs études. Les longs jours d’attente à des checks points, les fouilles, les exactions contre les populations palestiniennes, ce qui est leur est constamment renvoyé en pleine figure… tout cela nuit. Tout cela les perturbe ! Ils remettent en cause la légitimité de l’armée à intervenir et certains d’entre eux se sentent éloignés de l’esprit des pionniers…, parfois de leurs parents. Le doute est là.
Tsahal s’interroge. L’armée réfléchit sur elle-même. Elle y est contrainte dans ce contexte précis quand les jeunes, la presse, des intellectuels, des écrivains, des cinéastes montrent du doigt l’Armée ? Que faire pour coller au plus juste aux attentes de la société israélienne, et surtout parmi les Israéliens les jeunes ? Malgré tout, elle reste l’institution la plus solide et la plus légitime du pays… comme si rien ne pouvait altérer la confiance des Israéliens en cette armée qui les protège et qui les a si souvent sauvés. Elle fédère autour du drapeau, de la Menorah et d’un hymne national Haktikvah qui appelle toujours à une espérance plus vive, plus marquée et toujours décisive.
Ce livre nous aide à comprendre la société israélienne et son attachement à cette jeune armée moderne et puissante née sur les fonts baptismaux du nouvel Etat d’Israël en 1948. Une armée de la liberté et du Droit, de la justice et pour la vie des Juifs sur une terre que Yahvé leur a donnée. Le regard est univoque et unilatéral. Ce regard sur soi-même oppose plus qu’il ne rassemble. Aussi, Tsahal qui cherche à se moderniser, à se repenser devra sans aucun doute entendre ce que ses généraux expérimentés disent au pays et à l’opinion publique. Tsahal peut être aussi une arme pour le maintien de la paix plutôt que de chercher toujours et encore à garder, sauver et maintenir le statu quo. Un très bon livre qui nous aide à comprendre ce qui nous échappe… encore. Bonne lecture !
Patrice SABATER
Barcelone, Avril 2019