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Un manuel pour passer de “l’enseignement du mépris” à celui de la fraternité

18 janvier 2024 | resena
Un manuel pour passer de “l’enseignement du mépris” à celui de la fraternité

Auteur: Patrice Sabater

Conférence des évêques de France (SNRJ), « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien » Editions Le Cerf, Paris 2023. 155 pages. 18 €

La Conférence des évêques de France a souhaité regarder son passé concernant son rapport historique et spirituelle quant à son attitude avec le Judaïsme et le Peuple Juif. Le dossier est lourd, mais la démarche est courageuse. « Si, il y a cinquante ans, on avait dit qu’il y aurait un ouvrage pour déconstruire l’antijudaïsme chrétien, on ne l’aurait pas cru ! », affirme Moshe Lewin, vice-Président de la Conférence des rabbins européens. Lever les hypothèques, les lieux d’accusation, les parties d’ombre, les incompréhensions n’est jamais très facile. C’est un chemin escarpé de deux mille ans qu’il convient d’aborder surtout en pointant tout ce qui a contribué à obscurcir les liens et à désigner le Peuple juif comme perfide et déicide.

L’antijudaïsme chrétien remonte aux origines mêmes de l’Église. L'idée de l'« aveuglement » des Juifs a été un des lieux de distanciation et d’accusation. Le thème théologique de la « Substitution » fait de la Nouvelle Alliance le lieu désormais véritable où l’on peut rencontrer Son Dieu en la Personne de Jésus (le « verus Israël »). La statuaire médiévale sur les portails des cathédrales, affirme au travers allégorie (Ecclesia » et « Synagoga) sa position dominante. Elle présente deux femmes représentées marquant la victoire de l’une, et la déchéance de l’autre. Lentement mais sûrement une théologie antijuive et antisémite s’est peu à peu forgée, et un imaginaire s’est instillé dans l’esprit de tout un chacun.

En octobre 1962, le Concile Vatican II s’ouvre avec la ferme intention de renouveler l’Église, de rétablir l’unité, et d’engager le « dialogue » avec les autres religions. La Déclaration conciliaire Nostra Ætate propose un texte théologique sur les relations entre Israël et l’Église. Elle reconnaît qu’elle se reçoit du Judaïsme et de l’Histoire patriarcale. Après l’enseignement du mépris (Jules Isaac) advient le temps de la reconnaissance et de l’estime mutuelle entre juifs et chrétiens ouvrant ainsi à un dialogue fraternel.

Comment déconstruire l’hostilité à la religion juive, les propos nauséabonds et antisémites qui ont perduré pendant des siècles au sein de l’Église catholique ? Quelles sont les réponses de l’Église catholique depuis le Concile Vatican II ? Comment rappeler l’importance du lien spirituel existant entre Juifs et Chrétiens ? Avec ce manuel, il ne s’agit pas de demander pardon, mais de trouver au fil des pages ce que le Grand Rabbin de France Haïm Korsia nomme « un témoignage d’espoir, de confiance en l’intelligence humaine ». Cet ouvrage est un instrument de travail et un manuel pour avancer ensemble. Selon le Président de la Conférence des évêques de France, Mgr Moulins-Beaufort « rien n’abîme plus la foi chrétienne, rien ne l’empêche d’avantage de se développer pour son âme et d’y porter ses fruits de bonté, d’amour, de vérité, de lumière, de justice, que les relents d’antisémitisme et même d’antijudaïsme qui peuvent s’y trouver cachés. On ne se détache pas de siècles de mépris et d’incompréhension en quelques décennies. C’est un travail de clarté, à mener tous ensemble et chacun pour soi, avec méthode. Ce manuel y aidera puissamment ».

L’Eglise de France a manifesté plusieurs fois sa proximité, ses regrets, sa culpabilité dans le processus de cet antijudaïsme chrétien. Des actions cumulées ont été décisives dans la construction de ce dialogue. Il n’est pas terminé. Il convient de « lutter contre le manque d’éducation, contre l’ignorance, contre les clichés qui continuent de se répandre (y compris chez les chrétiens), lutter contre la réapparition de l’antisémitisme ». C’est ce qui fait dire, dans un sentiment positif d’espoir à Haïm Korsia que « ce livre est d’abord, à (mes) yeux, un témoignage d’espoir, de confiance en l’intelligence humaine. Car c’est bien une démarche de foi, et de singulière espérance, que de souhaiter, à travers un argumentaire de vingt chapitres, faire bouger des lignes que vingt siècles n’ont pas su modifier et ont, au contraire, renforcé partout où la fureur du monde a dispersé le peuple d’Israël, et donc le judaïsme ».

Sous la direction du Père Le Sourt, l’Eglise de France propose dans ce manuel très éducatif une argumentation théologique et spirituelle. Chaque chapitre pose une question simple et directe, et se termine par une courte conclusion reprenant l’essentiel, ainsi que des Annexes remarquables qui aident à la compréhension de l’ensemble. « Ce que nous souhaitons beaucoup c’est que les éducateurs, les responsables d’aumôneries, les personnes qui accompagnent des jeunes, que ce soit dans les groupes scouts, dans les différentes aumôneries de l’Enseignement catholique, de l’enseignement public, puissent travailler tel ou tel chapitre pour pouvoir justement décliner tel ou tel aspect de l’antijudaïsme chrétien », dit-il. Il peut servir tout à la fois aux deux communautés dans un esprit d’éducation et de vérité pour liquider les mensonges millénaires de l’Église, rappeler l’unité des Ecritures, revenir sur les racines juives du Christianisme, et « les sentiments hostiles et méprisants envers les juifs (…) en s'appuyant sur l'enseignement de l'Eglise depuis 60 ans, et notamment depuis le concile de Vatican II » (CEF).

La contribution de l’épiscopat français est de toute évidence un pas de plus dans le rapprochement fraternel entre les deux religions. Les évêques donnent, ici, un outil à découvrir, à travailler et à partager pour que chacun contribue à construire ce chemin.

Patrice SABATER