News
Le dialogue interreligieux, un chemin vers la compréhension mutuelle

27 février 2025
Retour sur la conférence du Dr. Amir Jajé, OP
Le 18 février 2025, l’Université Catholique de Madagascar, à Tananarive, a accueilli une conférence particulièrement marquante, animée par le Dr. Amir Jajé, OP. Spécialiste du dialogue interreligieux, vice-recteur de Domuni Universitas et directeur des programmes arabophones ainsi que de l’Institute for Religious Studies, il a proposé une réflexion profonde et engagée sur la question du dialogue avec les musulmans et sa possibilité dans le monde contemporain.
L’auditoire, composé d’étudiants, de séminaristes et d’intellectuels, a suivi avec une attention soutenue cette intervention, qui n’a laissé personne indifférent. À travers une approche ancrée dans l’expérience et la rigueur intellectuelle, le conférencier a abordé les défis et opportunités du dialogue entre chrétiens et musulmans, mettant en lumière la nécessité d’un engagement renouvelé, lucide et respectueux.
Un dialogue nécessaire mais exigeant
Reconnaître et accepter les différences
Dès l’introduction, le Frère Jajé a insisté sur la nature délicate du dialogue interreligieux. Lorsqu’une religion cherche à s’imposer comme vérité absolue et universelle, cela peut générer incompréhensions, tensions et réactions de rejet. Loin d’une confrontation dogmatique, le dialogue authentique suppose une reconnaissance mutuelle des différences. Il ne s’agit ni de nier ces divergences, ni d’en faire des obstacles insurmontables, mais d’accepter qu’elles existent tout en recherchant des chemins de compréhension et de collaboration.
L’une des difficultés majeures réside dans le fait que le christianisme repose sur le mystère de l’Incarnation, tandis que l’islam affirme la transcendance absolue de Dieu. Loin d’être un simple débat théorique, cette opposition structurelle a des implications profondes qui rendent souvent le dialogue théologique ardu. Toutefois, selon le Frère Jajé, cette différence ne signifie pas que l’échange est impossible, bien au contraire.
Un dialogue de compréhension, non de conversion
Le dialogue ne doit pas viser à convaincre mais à comprendre. Ce n’est pas un instrument de conversion mais un moyen d’approfondissement mutuel, où chacun apprend à voir le monde à travers les yeux de l’autre, sans pour autant renier sa propre foi.
Une confusion fréquente consiste à penser que l’on dialogue avec une religion en tant que système. En réalité, ce sont des hommes et des femmes que l’on rencontre, avec leurs histoires, leurs doutes et leurs espérances. C’est cette approche profondément humaine qui doit guider tout dialogue.
Les conditions d’un dialogue fécond
L'importance de la présence et de l'engagement
Pour qu’un véritable échange puisse s’établir, la présence est essentielle. Il ne suffit pas de parler du dialogue, il faut le vivre. Cela implique d’être à l’écoute de la culture, des réalités sociales et des aspirations de l’autre. L’histoire a souvent vu des communautés religieuses coexister sans réellement se rencontrer, vivant dans des sphères séparées par la méfiance et l’ignorance mutuelle.
Le premier pas vers un dialogue constructif consiste à briser ces barrières et à aller au-devant de l’autre sans idée préconçue. Accueillir l’autre, ce n’est pas chercher à le changer ou à l’assimiler, mais reconnaître sa dignité propre.
Un respect mutuel et une écoute sincère
Ce respect mutuel est une condition sine qua non pour dépasser les blessures du passé et envisager un avenir de collaboration et de paix. Le Concile Vatican II, à travers la déclaration Nostra Aetate, rappelle l’importance de dépasser les conflits historiques et de promouvoir la justice et la liberté ensemble.
Un dialogue authentique suppose une posture d’humilité et de remise en question. Trop souvent, l’échange se transforme en monologue, où l’un cherche à enseigner tandis que l’autre est réduit à une position d’écoute passive. Or, toute rencontre authentique repose sur la réciprocité. Chacun a quelque chose à apprendre de l’autre, même si cela implique de reconsidérer certaines certitudes. Le Frère Jajé a insisté sur le fait que le dialogue ne doit pas être perçu comme une menace mais comme une opportunité d’approfondir sa propre foi en entrant en contact avec celle des autres.
Les enjeux du dialogue interreligieux
Les obstacles à dépasser
Toute tentative de dialogue peut cependant être entravée par divers obstacles. La méfiance, alimentée par des siècles d’opposition et de conflits, reste un frein majeur. De part et d’autre, des préjugés persistent et empêchent souvent une compréhension véritable. La peur du prosélytisme, également, rend le dialogue difficile, car il est parfois perçu comme une tentative déguisée d’imposer sa foi à l’autre. Le conférencier a souligné que l’intention doit être clarifiée dès le départ : il ne s’agit pas de convaincre mais de construire un espace de parole où chacun puisse exprimer librement sa vision du monde.
Le dialogue ne doit pas non plus se limiter aux grandes questions théologiques ou philosophiques. Il s’ancre aussi dans la réalité concrète, dans les défis communs auxquels sont confrontées les sociétés modernes : la lutte contre les inégalités, la quête de justice, la promotion de la paix. En ce sens, il ne s’agit pas simplement de coexister, mais de marcher ensemble vers un avenir commun, en mettant en lumière les valeurs partagées et en travaillant à leur mise en œuvre dans la société.
Un engagement pour l’avenir
Dans un monde marqué par les tensions et les conflits religieux, la conférence du Frère Jajé a réaffirmé que le dialogue interreligieux est plus qu’un simple idéal : il est une nécessité. Il n’est pas une fin en soi mais un chemin à emprunter, avec ses incertitudes et ses défis, mais aussi avec la conviction qu’une humanité plus fraternelle est possible.
Les réactions du public ont témoigné de la puissance du message délivré. Nombreux sont ceux qui, à l’issue de cette rencontre, ont exprimé leur désir d’approfondir cette réflexion et de s’engager concrètement dans cette mission du dialogue. Le Frère Jajé a conclu son intervention en rappelant que, face aux divisions, il ne suffit pas de dénoncer l’intolérance : il faut construire des ponts là où s’élèvent trop souvent des murs. Ce défi, bien que complexe, est à la portée de tous ceux qui osent l’ouverture et le respect.